Ballade.
Nuits et jours se succèdèrent
Toi et moi, tracions tranquillement
Ce que nous nommions
L'infiniment grand
Ce tic tac incessant, c'est le temps qui passe. Et il passe vraiment. Ce n'est pas un conte. Ce ne sont pas des sottises. Il passe subtilement, et parfois il passe bien. C'est ce qui arrive dans certaines histoires, le temps passe bien et les mots montent en puissance. Ce tic tac incessant, c'est celui du temps. Et il serait peut être temps de vivre.
JungKook, assis sur son bureau, contemple le ciel froid. Les étoiles brillent sur le sol glacé. JungKook a plein de poèmes dans la tête. JungKook en a tellement qu'il ne sait plus lesquels écrire. Il y a des mots qui surgissent de chaque objet. Ils décorent le monde. JungKook entend que quelqu'un a allumé la TV au rez de chaussé. C'est sûrement sa mère. Son père rit. Et JungKook sourit. Il a fini Les Fleurs du Mal. Maintenant, elles fleurissent sur l'étagère. Il a ajouté de nouveaux vers à côté de sa fenêtre. Cette fois, il y a mis de la couleur. Parce que même en hiver, son monde est plein de couleurs. Aujourd'hui, TaeHyung avait un col roulé bordeaux. JungKook a encore la couleur dans les yeux. Et il fera peut être un rêve bordeaux ce soir. Et il trouvera peut être un feutre bordeaux pour dessiner ses poèmes. Et il entend un hiboux. Et il espère qu'il a les plumes bordeaux.
Demain ce sera une autre couleur, peut être même plusieurs. Et demain ce sera un autre poème. Et demain ce sera d'autres rêves, d'autres oiseaux, d'autres rires et d'autres morceaux de craie brisés. Et demain ce sera une autre mélodie dans leurs oreilles. Et demain sera ce qu'il sera. JungKook aime aller au lycée. JungKook aime espérer croiser TaeHyung. JungKook aime se poser des questions. Que ferait-il s'il le voyait, là, maintenant ? JungKook mange avec lui à la cafétéria. Namjoon, Yoongi et les autres aussi. Et ça ne dérange pas TaeHyung. TaeHyung sent parfois sa chaussure se coller à la sienne, et souvent ils restent ainsi, n'attendant rien. TaeHyung a parlé de JungKook à Hoseok car Hoseok aime les choses intéressantes et que TaeHyung trouve JungKook intéressant. Hoseok a une copine en ce moment. Elle a les cheveux très courts et dirige le club d'écologie. TaeHyung ne comprend pas tout ce qu'elle dit quand ils se parlent au coin fumeur, mais il hoche la tête et il trouve ça marrant qu'elle ne s'arrête jamais. Parce que c'est vrai qu'elle parle beaucoup la copine d'Hoseok. Mais Hoseok acquiesce à chacune de ses paroles. Alors TaeHyung pense qu'elle ne dit que des choses vraies.
TaeHyung passe beaucoup de temps à la bibliothèque et au café. Il aide JungKook à avoir des bonnes notes en sciences. Il lui donne des conseils et lui fait travailler ses bases. JungKook n'aime pas les sciences mais il aime bien quand TaeHyung les lui explique. Il fait des efforts. Et souvent, quand ils ont fini, ils échangent leurs musiques. JungKook demande à TaeHyung ce qu'il pense du livre qu'il lit en ce moment. Et TaeHyung essaye de lui répondre du mieux qu'il peut. TaeHyung fait des phrases de plus en plus longues. Quand il parle à JungKook, JungKook écoute, JungKook répond. Même quand il se sent bête, même quand il rougit, il continue de l'écouter et de
lui répondre. TaeHyung n'oserait pas le dire, mais ça lui fait plaisir. Il ne fait plus de vélo tard le soir car il y a du verglas sur le sol. Le voisin ne nettoie plus sa voiture quand il court devant son garage. TaeHyung a trouvé de nouveaux pulls et a créé une nouvelle playlist. Il l'a appelée « Nouvelle » parce que c'est ce qu'elle est et qu'il n'a pas trouvé mieux. Ses pulls sont toujours larges et toujours colorés. Ses jeans sont toujours délavés et retroussés au dessus de ses chevilles linéaires. Ses converses sont toujours abîmées. Ses lunettes à monture brune sont toujours desserrées. Seules ses quelques mèches perdent leur teinture enflammée. Mais TaeHyung laisse la couleur couler dans sa douche, parce qu'il trouve que les nuées rouges sont belles sur la céramique blanche.
Sa mère pleure quelques soirs. Et TaeHyung se sent coupable. Et son père lui en veut. Et son petit frère s'en fout. Alors TaeHyung laisse son assiette remplie, ferme la porte de sa chambre à clé et monte le son de son casque. Il monte le volume jusqu'à saturation, jusqu'à ce qu'aucune autre fragrance ne puisse perforer la musique. Il s'allonge sur le sol et se serre les mains très fort, imaginant que c'est quelqu'un d'autre qui les tient. Parfois il se lève au milieu de la nuit pour écrire des choses sans sens sur du papier. Et puis parfois il n'a plus de place sur sa feuille alors il écrit sur le bureau et sur les couvertures de ses livres. Et parfois il se met à pleurer et il y a des taches d'encre en plein milieu des mots. Il a peur qu'on ne puisse pas les comprendre. Alors il s'en veut de pleurer des larmes qui coulent vers le bas. Il voudrait des larmes moins lourdes, des larmes qui iraient se loger contre le velux. Et on croirait qu'il pleut à l'intérieur. Parfois, TaeHyung se lève au milieu de la nuit pour écrire des lettres à sa mère. Lettres qu'il déchire au petit jour. Lettres qui restent logées dans ses cernes incolores. Et d'autres nuits, TaeHyung regarde le ciel, pense à JungKook et il n'arrive pas à s'arrêter. Et quand il pense à JungKook, il ne pleure pas, il n'écrit pas de non-sens, il ne nettoie pas la maison au point de s'arracher les ongles. Quand il pense à JungKook, il ne bouge pas. Parce que le monde tourne dans sa tête. Et ça va bien. Je vais bien.
JungKook aussi pense à TaeHyung. Il pense à TaeHyung en allant au lycée, pendant ses heures de cours, quand il traverse les couloirs, en écrivant ses poèmes, lorsque TaeHyung est là et même quand il ne l'est pas. JungKook a une allégresse dans le cœur et il ne se ment pas. Personne ne se ment. JungKook sourit beaucoup. JungKook sourit tout le temps. Sauf quand il ne le voit pas de la journée, quand il ne parle pas, quand il a les pupilles embuées, quand il ne trouve pas les mots, quand il a la tête basse. Mais le reste du temps, JungKook est heureux. Et ils sont béats devant ce monde qui change et sur lequel ils n'ont aucun pouvoir. Ils portent la même stupeur et le même émerveillement de voir le temps bouger les choses. De voir les décorations de Thanksgiving devenir celles de Noël. De voir les feuilles mortes devenir les branches nues. De voir le ciel toujours grand et toujours rempli de lumière. Ils sont bouches bées mais au moins ils le sont ensemble.
Il y a eu le deuxième match de la saison. Les élèves ont encore crié dans les gradins. Leur équipe a encore gagné. Et ils ont encore célébré la victoire dans leurs verres colorés. JungKook marche le long du terrain avec TaeHyung pendant les cours de sport. Les profs ne disent rien. Les profs ne voient rien. JungKook a de meilleures notes en sciences et TaeHyung travaille dur pour les examens de Terminale. Ses quelques mèches ne sont presque plus rouges. Ses cernes sont un peu plus bleues. Et ses chevilles sont de un peu plus fines. TaeHyung pense que l'Hiver est triste mais JungKook dit qu'il aime les lumières dans la nuit et la famille. TaeHyung ne se souvient pas de son dernier Noël. Il sait juste qu'une fois il a fait pousser du jasmin à l'école et que sa mère l'a posé dans la cuisine, juste en dessous de la fenêtre. Mais elle ne l'a jamais arrosé et le jasmin a fané.
JungKook est assis sur son bureau, il regarde par la fenêtre et écarquille les yeux à la vue des premières pluies de lumière. TaeHyung est allongé sur son lit. Il a froid mais n'a pas la force de remonter la couverture sur son corps. Il a faim et il est bien. Ses yeux se ferment lorsque les premiers flocons recouvrent le ciel peint d'étoiles. Il ne la voit pas. Il ne l'entend pas. Mais la neige tombe. L'hiver embrasse la ville. Les Hommes se sentent glorifiés !
Et dans une autre réalité où il espère, TaeHyung mange lorsque JungKook le lui demande.
