Litote.

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Litote.

JungKook n'a jamais vraiment su pourquoi il écrivait de la poésie. Mais comme beaucoup de ces gens qui cherchent, cherchent, et parfois trouvent, il a pensé que c'était beau. Et puis c'est devenu une chose, puis tout autre chose et enfin un assemblage d'idées et d'histoires partiellement démontées. Il n'en a gardé que l'essentiel. C'était des mots ; pour certains, c'était du vent. A présent c'est tout, et c'est tout le temps. La poésie n'a pas de début, n'a pas de fin. Que des aboutissements. Et si JungKook la voit partout c'est qu'elle l'est. Et si JungKook pense que les mots sont beaux, ils sont poésie. Et si JungKook y trouve la vie, alors les âmes sont poétesses.

JungKook est assis à son bureau, il est tard. Il n'y pas d'heure. Il a oublié où se trouve l'horloge. Il a oublié la direction du temps. Et la nuit pourrait passer du crépuscule au midi qu'il ne s'en rendrait pas compte. Car toutes les réalités sont déjà là. En lui. Dans sa tête et dans son corps. Et que toutes les vérités s'écoulent par des fentes au coin des fenêtres. Et que cette sève d'espérance imbibe son cahier et ses pages et son crayon et sa peau et son cerveau. Il écrit, il écrit, il écrit. Sa main souffre. Ses doigts craquent. C'est le son de l'oubli. Et le bruit de l'envie. L'envie de vivre. Parfois les termes sont un peu vagues, et la douleur respirable. Pourtant, il y a ce désir inconditionnel de remplir le papier vide, de l'encombrer jusqu'à le faire déborder. Il y a ce besoin imminent d'étourdissement.

Vivons ! Il est temps.

Quand JungKook n'écrit pas, il pense. Et quand il ne pense pas en silence, il demande. Il demande au monde l'indulgence et la patience, pour trouver la clé d'un mystère oublié. Sa mère lui a posé des questions sur TaeHyung, et puis son père aussi. Il ne leur a pas répondu grand chose. A croire que lui même ne sait pas. Il ne sait pas. Et les gens ne savent pas, personne ne sait. Et c'est en disant cela qu'il s'est remis à penser. Cercle encerclé, issues déroutées. Qui du loup et de la proie est celui dans le trépas ? Le printemps est déployé, de bout en bout, de cœur en corps, et JungKook ne fait que penser et retourner ce qu'il a pensé, pour en écrire des poèmes. Et des poèmes.

TaeHyung lui, a du mal à rester chez lui. Il est cloisonné, fermé, recroquevillé dans le temple de son enfance. Il file dans le jour de sa chambre, s'endort dans des nuits sans berceuses. Il ne peut pas approcher sa mère sans craindre de se mettre à pleurer, ou à s'effondrer, ou à fuir, ou peut être encore pire. Et même si son père trouve ça mal, il ne partage plus leur table le soir. Et dans ses rêves et partout autrement, il s'échappe. Certaines nuits, il sort par le velux, descend le toit et part se fondre dans les ombres. Et la plupart du temps, JungKook ne dort pas. JungKook est là. Et les âmes poétesses s'attendent, s'appellent. Inconsciemment. Puis ils s'en vont et marchent lentement, sans paroles ou sans silence. Certains midis, ils se retrouvent à la cafétéria. Et la première fois, comme TaeHyung remuait les condiments sans en avaler un morceau, JungKook a lâché sa fourchette, a posé ses coudes sur la table. Ils se sont regardés dans les yeux. L'un surpris, l'autre soucieux.

« -Si tu ne manges pas, je ne mange pas. »

Ça sonne comme une mauvaise nouvelle. Et ça a un goût de peur. Mais ça finit par passer. Le froid dans son regard s'est effacé, et de quelques gestes, il a essayé de manger. JungKook n'a rien ajouté. Et les événements ont continué, continué de se figer dans le temps. Passé qui il y a deux minutes était présent. Inarrêtable moment. Le reste de ses journées, quand TaeHyung n'est pas là, JungKook s'égare. Mais quelque chose est arrivé, il a retrouvé une forme de vitalité, un zeste de volonté. Il a de nouveau envie de participer en classe. Et il sourit plus souvent. Et parfois il ne s'en aperçoit pas vraiment. NamJoon l'observe dans ses longs silences, ses profondes absences, celles où ses yeux s'en vont ailleurs, dans des pensées intérieures. Ses amis le voient. Ses amis comprennent. Et NamJoon sait qu'il n'y a rien à dire, rien à faire. JungKook est de ces fous qui s'aveuglent en passion.

Il y a des matins, et des soirs, et des pauses, où JungKook s'aventure à nouveau dans le corridor bétonné. Il apprécie de s'y abandonner. Et même quand TaeHyung n'est pas là, il aime se poster aux côtés d'Hoseok pour regarder le monde, en morceaux mal découpés. JungKook fume parfois. Hoseok fume tout le temps. Et quand ils parlent, ils parlent de choses intéressantes. Et quand ils parlent de TaeHyung, ils essaient de comprendre. De comprendre qui du loup ou de la proie est celui dans le trépas. Hoseok est un garçon intéressant. Il arrive même qu'il le soit tellement que JungKook ne peut pas croire qu'il s'agisse d'un adolescent. Au fond de ses pupilles, on y voit des années et des années ignorées. Et JungKook est impressionné. Il comprend pourquoi TaeHyung l'apprécie tant. Sûrement que TaeHyung voit les choses telles qu'elles sont vraiment.

Le mercredi, JungKook va lire à la bibliothèque, il écume ses textes et ses romans préférés pour trouver les mots marquants, les mots parfaits. Quand il le fait, il en recopie les phrases, en enregistre les images puis les emporte contre son flanc palpitant. Les premières fois, TaeHyung était toujours surpris de voir des mots tomber de son casier. Des mots en cascade, des rafales de syllabes et d'accolades qui s'enroulent et qui se mélangent et qui chutent sur le sol luminescent. De ses mains délicates, il les ramasse, il les lit une fois dans le couloir. Puis en rentrant chez lui, il les lit encore, puis d'autres fois, perdu dans des lieux sans histoires, il lit et relit les papiers égarés. Il les lit et aime les regarder longuement, comme si c'était une photo, on un tableau, ou un être humain. Comme si c'était une part de JungKook qu'il tenait entre ses mains, comme un fragment d'âme ou quelque chose comme ça. Ou du moins c'est ce qu'il se dit. Et son cœur vibre à fleur de sa peau en parcourant les mots. Sûrement qu'il les voit tels qu'ils sont vraiment.

TaeHyung a trouvé des nouveaux pulls dans une friperie en ville. Ils ont les couleurs douces du printemps. C'est élégant. Il a aussi trouvé des jolies cartes à accrocher sur ses murs dénudés. Et lorsqu'il s'allonge, la tête sous le velux, les yeux dans le ciel, il voit son monde bouger avec les nuages. Peut être qu'il essaye de le changer. Oui, il croit que les choses changent un peu. Pas forcément de façon complète, ni ordonnée, ni décidée. Mais la Terre tourne, les musiques dans les playlists s'enchaînent, et il se sent changer. Lentement. Presque imperceptiblement par moments. Quand il y pense, il se dit qu'il est une plaque sismique. C'est ce qu'il est. Et il se fracasse contre son monde. Même si personne ne le voit, c'est ce qu'il se passe. Mais le monde a peur, et il a raison, de son cœur en danger quand son esprit tremble.

TaeHyung ouvre les yeux, c'est l'aube. Le soleil l'a réveillé. Il n'a pas tiré les rideaux. Mais l'aube est douce, l'aube est belle. TaeHyung se redresse et ouvre le velux de ses bras fatigués. Subitement le ciel s'ouvre. Les oiseaux sont déjà réveillés. Les maisons sont tendrement orangées. C'est comme la peau des pêches en été. Ses paupières tombent. Le ciel s'est fermé. Le ciel est entré. Plus loin, JungKook s'est endormi, le buste sur le bureau, à moitié sur le papier encré, à moitié dans ses pensées. Le ciel est entré. Il n'ouvrira pas les yeux avant longtemps. Il ne verra pas l'aube. Mais TaeHyung le fait pour lui. Alors il en rêve. Et ce matin, les souvenirs aux vents,

ILS EXISTENT

Et peut être que dans une autre réalité, les cascades de mots se mettent à voler.

Âmes Poétesses - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant