Chute.

1.9K 374 42
                                    

Chute.

Les âmes poétesses flottent loin de leurs corps. Elles passent sur les toits du monde et jamais ne se trouvent. Et il y a tellement de mots qui se perdent dans les bouches d'égout, tellement de larmes qui coulent dans les rigoles, tellement de fleurs fanées sur les trottoirs. Est-ce que c'est un rêve, encore, après le réveil brutal ? Il préférerait dire oui. Mais il devra dire non. Comme dans beaucoup de réalités. Ce matin là, c'est violet, violet pâle, violet presque gris. Ce matin là, en se réveillant il voit un ciel malade, et c'est un ciel malade qui se couche encore le soir. JungKook marche dans les couloirs, jette des coups d'œil dans les salles de classe, tourne en rond dans la bibliothèque, brave même le froid pour guetter les gradins. Il n'est pas là. JungKook frotte ses mains et souffle dessus pour vaincre un gel qu'il s'invente. TaeHyung n'est pas là.

Le lendemain, il retourne aux mêmes endroits, il se dit que peut être il devrait s'asseoir quelque part et attendre de le voir passer. Il le fait en plein milieu du couloir, près de son casier et il se souvient qu'une fois il a fait pareil dans un supermarché parce qu'il avait perdu sa mère et qu'il avait eu très peur. Il l'avait attendue des heures au bord d'un rayon, espérant qu'elle passe et qu'elle le ramène à la maison. Et il a probablement pleuré ce jour là même s'il ne s'en souvient pas. Et aujourd'hui, il est assis près du casier de TaeHyung à regarder la foule passer, et la foule le regarde ne pas passer. TaeHyung n'est pas là.

Les jours d'après, JungKook tourne encore sous le même ciel mauve. Il se dit que c'est morose mais il se comble l'esprit avec des mensonges. Et il envoie des tas de messages à TaeHyung, il essaie de l'appeler, encore et encore. Et TaeHyung ne répond pas. TaeHyung est un silence. JungKook étouffe dans tous les bruits du monde. Et TaeHyung demeure silence toute la semaine. Il ne met pas un pied au lycée. Il ne répond pas aux appels de la terre ferme. Pendant toute une semaine, TaeHyung n'est pas là. Il n'est pas malade du corps, il est malade de la tête. Et c'est tellement plein dans son là haut qu'il aimerait percer son esprit et laisser couler les insomnies. Mais non. Il ne peut pas alors il traîne le poids des pensées d'un bout à l'autre de sa chambre. Il a éteint son téléphone. Il ne sait même plus où il l'a posé. Et il se cogne dans ses quatre murs, il attend que les heures de torpeur s'achèvent. Il attend le réveil mais la vérité, et au fond il le sait, c'est qu'il a les yeux grands ouverts. Et que la réalité est toujours la même sous le jour. Alors il reste seul. Il reste silence. Et TaeHyung n'est pas là.

Le vendredi soir, JungKook a marché dans tout le quartier dans l'espérance absurde de le voir. JungKook a essayé en vain de suffisamment tendre les bras pour le toucher. Mais il n'a fait que trébucher et tomber dans une marre d'inquiétude. Alors il est rentré chez lui, a écrit des choses qu'il a barrées et chiffonnées et jetées et oubliées. Il appelle ça des choses parce que ce ne sont pas des poèmes. Ce sont des gribouillis de langue informelle. Et il les lance dans la poubelle, sachant que les mots morts, personne ne les lira. Et même s'il ne le sait pas, TaeHyung a des mots morts dans la tête. Et on se demande à quoi servent les mots si personne ne les lit. A quoi servent les mots s'ils sont morts ? Et TaeHyung n'est pas là. JungKook écrit ça entre deux vers en ligne penchée. TaeHyung n'est pas là. Alors on attend et on ne comprend pas. Et JungKook ne comprend pas. Et même les lecteurs ne comprennent pas. Et même l'auteur ne comprend pas. Et peut être que TaeHyung le comprend mais il ne le dit pas, même pas à lui même. Il a écrit la vérité sur une courbure de son crâne, mais ce sont des mots morts. Et ce jour là, JungKook a retrouvé sa mère au supermarché. Et TaeHyung, lui, n'a jamais trouvé sa mère.

Et peut être que dans une autre réalité où les mots ne sont pas morts, TaeHyung essaie de se trouver lui même au lieu de chercher les autres.

Âmes Poétesses - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant