Manifeste.
Les gens vont lentement. Les gens vont lentement quand nous allons vite. Le monde tourne doucement quand se ferment les crânes. Les miasmes de leur inconscience nous inondent. Et les Âmes poétesses sont de majestueuses colombes qui survolent les plaines de l'ignorance. Elles cherchent la vie, ainsi que ses infinis rivages. Et nous les regardons de loin, lorsqu'elles fuient des océans de peur et des heurts sans visage. Baissez donc la tête et vous ne verrez pas, la grandeur du ciel et le tissu grenat. TaeHyung a des doigts de neige, accrochés à ses manches carmin. Il garde l'équilibre, vacille et s'arrête au détour d'un couloir. C'est l'après midi. Il sera bientôt l'heure de quitter le lycée. TaeHyung reste quelques instants au bord d'une porte ouverte. Il regarde JungKook et JungKook passe une main dans ses cheveux obscurs. Il fronce les sourcils au dessus de son cahier. Toutes les courbes de son visage sont idéales. Sa mâchoire, ses yeux et ses clavicules sont mathématiquement symétriques. Il est beau. TaeHyung rentre dans le salle de classe vide, slalome entre les tables et les chaises mal rangées. Il ne fait aucun bruit. Son corps est muet. Puis il jette un œil sur les feuilles de papier renversées, maltraitées, éparpillées. Il suit les tracés de son stylo. Il comprend la raison de son ennui.
« -Tu oublies toujours les racines carrés » dit alors TaeHyung avant de s'asseoir à ses côtés.
JungKook se redresse, voit son image que le halo illumine. L'Imprévisible. Il baisse à nouveau la tête, parcourt le papier puis lâche un « c'est vrai ». JungKook a l'angle d'un sourire, là, juste au coin du visage. Il continue de travailler, raconte entre deux calculs qu'il a raté son dernier test, qu'il aimerait se rattraper. TaeHyung lui explique quand il ne sait pas. Puis, un silence paisible s'installe. TaeHyung regarde par la fenêtre, à travers les grands arbres, le soleil est enflammé. Dieu que le ciel est beau quand il brûle. JungKook a posé son stylo, le buste allongé sur la table, il regarde son deuxième soleil. Mais le soleil est pâle, a la peau blanche, les cernes noires, les prunelles insipides. Il lui dit qu'il a l'air fatigué. L'autre hausse les épaules, laisse un espace vide.
« -La nuit je pense trop, murmure-t-il. Je n'arrive pas à dormir. »
JungKook ne répond pas. Il ne sait pas quoi dire. TaeHyung se penche à son tour et allonge le haut de son corps sur la table. Sa joue rencontre la surface froide. Sa peau s'en satisfait. Il ferme les yeux. JungKook le regarde, leurs mains sont si proches qu'elles pourraient se toucher. Mais JungKook ne fera rien, de peur de briser ses os de cristal. Il restera là, des années, à la regarder chercher le sommeil en plein milieu de la journée. TaeHyung sent ses yeux sur les siens, cachés par des paupières closes. Il ne dit rien. Ses battements de cils font voler les mauvaises pensées. Les gens passent près de la porte, personne n'entre. La sonnerie retentit une fois, une deuxième, cinq minutes plus tard. JungKook finit par fermer les yeux à son tour. Et la lumière les recouvre. Et l'ombre des feuilles d'arbres tissent des fresques sur leurs esprits damnés. La voix de JungKook ressemble à un songe quand elle résonne un peu plus tard, jaillissant d'entre deux rêves éveillés. Le garçon s'est redressé, les pupilles fixes, l'expression tendue.
« -Il y a un endroit où j'aimerais t'emmener. Je pense que ce serait bien. »
TaeHyung se relève à son tour. La main enfoncée dans sa large manche, il le toise d'un regard profond. D'un regard qui semble dire «où tu voudras». Après ça, ils s'observent. Encore.
Et peut être que dans une autre réalité où la vie n'est pas tout à fait comme elle est, TaeHyung n'a pas besoin de faire semblant de ne pas savoir où JungKook veut l'emmener.