Synesthésie.Les fleurs d'eau poussent, sous les pluies qui plongent. Il fait gris. Il pleut sans s'arrêter. Les lycéens s'enferment dans cet endroit noir, augmentant les échos de son corps, appuyant les cris dans sa gorge. JungKook suit NamJoon dans les couloirs, monte les escaliers dans son dos, rentre dans les mêmes salles que lui s'il le faut. Il a des cernes sous les yeux et des cristaux de neige sous la peau. Il a l'impression d'être dans un mauvais film et dès qu'il marche quelque part, il sent le temps ralentir. Les bras et les jambes se perdent dans leur mouvement. Et lui est l'intrus qui s'avance, tout en étant resté coincé à l'entrée du lycée, de peur d'y croiser son regard. JungKook a retrouvé ses écouteurs cassés sous son lit, alors il écoute l'horrible mélodie des gens qui passent autour de lui. Ses oreilles saignent, ses yeux sont secs. Il a passé la nuit à sangloter sur son lui même abîmé. Et il n'a pas vraiment eu la force d'avoir honte, ni l'envie d'arrêter.
Pendant qu'il regarde le tableau, assis à sa table, le crayon secoué de spasmes entre ses doigts, il pense. Et quand il est affalé près des grandes fenêtres avec ses amis, il pense. A la cafétéria, torturant le contenu de son assiette avec sa fourchette, toisant le vide incomplet, il pense. En cours de sport, traînant des pieds dans le gymnase, il pense. YoonGi lui demande d'arrêter les bruits aigus de ses chaussures. JungKook s'excuse, ou du moins il hausse les épaules dans ce sens là. Il n'avait pas entendu. Il n'entend rien. Rien qu'un brouhaha obsédant, fracassant, accrocheur et démanteleur. Menteur. Les gens ne sont pas vraiment là. Ils ne peuvent pas être là. JungKook essaie de participer, de se concentrer, mais à chaque fois ses doigts frôlent le ballon mais n'ont pas la force de s'y accrocher. Il dit qu'il est désolé. Sa tête est partie vagabonder ailleurs. Sa tête pense. Au café avec les autres, le menton dans la main et les yeux posés sur les néons, il s'égare. Il pense. Puis ses pupilles aperçoivent une table vide. Il se souvient alors de l'automne, quand il l'a vu seul penché sur ses cahiers et qu'il lui a parlé pour la deuxième fois.
Soudain JungKook se lève, attrape son sac et s'en va. Il ne prend même pas le bus pour rentrer. Le ciel s'est dévoilé en une teinte mi bleue mi violette. JungKook se dit que ça ferait une belle couleur pour ses pulls. Puis il baisse la tête sur le goudron humide, ne fixant que les choses laides qui ne lui rappellent pas qu'un jour, il n'y a pas si longtemps, il tenait un autre garçon dans ses bras. Un vent frais plane. Il ne pleut plus et si on tend les yeux, on peut voir que les nuages forment un amas de mer au loin, comme l'écume en colère. Et sans ses écouteurs, JungKook entend les bruits dans les maisons, le toussotement des voitures, les discussions des passants. Et pire - ou peut être mieux - il entend le silence. Il prend quelques détours avant de rentrer chez lui. Une fois dans sa chambre il tente de lire, mais il n'y arrive pas. Il commence ses maths mais elles ne se finissent pas. Et il entend tous les bruits de tout le monde. Et il se dit qu'il faudrait vraiment racheter des écouteurs. Car il pense. Il pense à lui.
Le soir, à table, il parle un peu, lâche des mots avec quelques secondes de retard. Sa sœur est là. Et sa famille voit que ça ne va pas. Et quand on lui demande s'il se sent bien, il répond que oui. Il sourit et ça lui fait mal. Il pense sincèrement qu'il ne devrait pas avoir si mal. Il ne comprend pas qu'il puisse avoir si mal. Le lendemain, en marchant dans le couloir, entre les casiers décolorés, JungKook lève la tête inconsciemment. Et il le voit. Il le voit marcher, passer à un mètre de lui, les yeux las et les couleurs indifférentes. JungKook est ébloui et s'étonne de constater qu'on puisse être assez fou pour en demander encore. Pourtant, il s'arrête et le regarde partir. Les autres élèves le fixent comme s'il était fou. Il est fou. Et il ne pensait pas pouvoir aimer autant.
Peut être que dans une autre réalité où JungKook marche légèrement plus vite, les âmes poétesses ne se sont pas effondrées sur leur propre insécurité.