Assonance.
Un vent pâle fend les rues. Les pluies de flocons sont renversées, elles s'affolent et finissent leurs courses sur le sol. Toutes les lumières sont allumées dans la maison. Il y a des invités. La famille de TaeHyung échange sur la vie de chacun. TaeHyung ne parle pas. Et personne ne lui parle. Il observe dans le salle, il observe à table, il observe par delà les rideaux. Il neige encore. Quelques rires fusent. Quelques gênes s'installent. Le petit frère de TaeHyung s'ennuie, souffle, siffle, le gras des amuses gueules se répand sur son écran de téléphone. Les cousins ne se parlent pas. Ils jouent avec les couverts pour ne pas avoir les mains vides. Et les adultes sont dans un coin de table. Et les enfants sont dans l'autre coin de table. Et tout le monde fait semblant de s'aimer. TaeHyung essaie d'y croire, mais il neige dehors, et il trouve les flocons plus réels que tous les sourires et tous les mots échangés autour des assiettes trop pleines.
Parfois, il regarde sa mère. Elle a l'air rayonnante, sûre et digne. Elle s'est faite belle pour recevoir. Elle a des diamants sur les oreilles et des perles autour du coup. Ses bijoux ont la tristesse des femmes qui ne peuvent s'acheter que du plastique. Et son fond de teint est peut être trop appuyé, son fard à paupière trop foncé, et ses lèvres trop rouges. Mais elle sourit de toutes ses dents et elle parle avec de grands et beaux mots qui surprennent. Le père de TaeHyung la regarde avec amour. Mais TaeHyung voit bien que l'amour s'en va. Mais TaeHyung n'y pense pas. TaeHyung est cerné de voix qui ne s'écoutent pas. Ses ongles griffent la nappe, il la tord et la distord sans même le voir. Il regarde la viande d'un œil vitreux. L'assiette déborde. Il n'y touche pas. Il entend les couverts qui s'agitent et s'entrechoquent. Il y a du jus sur le tissu blanc. TaeHyung serre les dents. Et entre tous ces gens, la maison est sale. La plupart du temps, il garde la tête basse, les yeux plongés dans son verre d'eau. Parfois, il croise le regard de sa mère, et elle le tue. Alors, TaeHyung détourne ses pupilles dilatées. Sa tête le tourne. Ses sourcils s'arquent sans savoir comment. Et TaeHyung ne parle pas. Et TaeHyung n'écoute pas. Et TaeHyung ne regarde pas. Il n'est pas là. Ou plutôt, il aimerait ne pas l'être.
JungKook est assis en tailleurs dans son salon. Le père pose la main sur l'épaule du fils, fier. La famille repasse des vieux matchs et des vieilles vidéos qu'ils ont enregistrés sur cassettes. Ils mangent des gâteaux sucrés en déblatérant devant l'écran. Ils ont l'air heureux. Parfois JungKook tourne la tête vers le téléphone accroché au mur. Il aimerait l'appeler mais il ne peut pas. Alors il reporte les yeux sur les photos de son premier Noël. Il pense à lui. Il espère qu'il pense à lui aussi. Mais JungKook ne sait pas ce que fait TaeHyung, ce que vit TaeHyung, ce que pense TaeHyung. Il ne sait pas et il ne peut pas. Dehors, la neige tombe encore. Ils peuvent ressentir tout ce qu'ils veulent, la neige ne s'arrêtera pas de tomber pour autant. Et la Terre tournera encore. Et les enfants naîtront encore. Et on laissera quand même les sapins dans les maisons. Et on continuera de se cacher la tête dans les mains. Encore.
TaeHyung a été congédié dans sa chambre. Il fait honte à sa mère. Il a la peau si blanche, des cernes si sombres, et des pulls si grands. Et son père était d'accord. Et les autres n'ont rien vu, rien dit. Alors TaeHyung s'est allongé sur son lit. Il n'a pas éteint la lumière cette fois. Il a peur du noir, ce soir. Il est seul et il entend les voix dans le salon. Ses écouteurs sont trop loin. Cette année, il n'a pas offert de jasmin à sa mère. Il pense qu'elle n'aurait même pas fait l'effort de le poser dans la cuisine. TaeHyung ouvre la bouche, il parle, même s'il est seul. Et il se dit Joyeux Noël. Il le répète au moins cent fois et à la fin il n'en comprend plus les mots.
Et dans une autre réalité, TaeHyung a la force de se lever et de lui téléphoner, de lui parler, d'oublier les voix, l'ignorance, les nébuleuses du rez de chaussé.