Prose.
Le vol des pas. Le bruit des silhouettes. Le son des pensées. Ce sont les gens qui passent. Les couleurs fanées. Les corps floutés. Les visages disloqués. Ce sont eux. Et eux passent. Pendant qu'ils sont ils. Et ils n'avancent pas. Et il y a tellement de gens dans eux qu'ils n'auront jamais assez de temps pour tous les connaître. Et il y a trop de et au début des phrases parce qu'il y a toujours trop de choses à dire. Les ombres sur les carrés. Les hurlements dans le couloir. Les feuilles arrachées et les pieds qui frappent les pavés. Ce sont eux. Et eux sont nous. Et ils sont ils. Et il y a tellement de poèmes à écrire sur eux, sur nous, sur ils, qu'on ne sait plus quoi en dire. Pendant que tout le monde avance, avance dans tous les sens, les âmes poétesses sont statiques. Comme si elles avaient oublié quelque chose. Mais elles ne savent pas quoi. Les autres le savent mais ne savent pas qu'ils savent alors ils ne le disent pas.
TaeHyung est debout devant son casier. Il prend des affaires, les fourre dans son sac et en range d'autres. Il va lentement. Ses gestes sont un peu latents. JungKook est appuyé sur le casier d'en face. Les mains dans les poches, le menton un peu relevé, le visage content sans être souriant. Et TaeHyung tourne légèrement la tête pour le regarder, et lui offrir des sourires timides. Il le fait plusieurs fois, il le fait assez souvent. JungKook penche son visage sur le côté, il regarde la foule. La foule est là. Et personne ne se voit. Il y a tellement d'élèves, tellement d'histoires. Il y a tous ceux que JungKook aura vite oubliés et il y a le garçon du casier d'en face. Celui qu'il ne pourra pas oublier. TaeHyung porte le pull rayé que JungKook lui a offert à Noël. Il a une boule dans le ventre. Enfin c'est ce qu'il se dit. Et quand il aperçoit JungKook et son visage un peu penché sur le côté, ses yeux adorent. Ils adorent l'angle. Ils adorent les courbes et les couleurs. Et tout TaeHyung adore tout JungKook.
Le monde leur paraît jaune aujourd'hui. Les murs sont jaunes. Le sol est jaune. Les gens sont jaunes. Même le ciel a cette couleur étrange. Mais comme dirait JungKook, ce n'est pas un jaune amer. C'est un jaune puissant. Et JungKook a envie de dire que Le soleil est tombé sur la Terre. Il ne le fait pas. Il n'ose pas. Il y a une distance entre leurs deux corps que les gens ne font qu'agrandir. Il y a quelques pas immenses à franchir. Des pas encore propres que les passants n'arrêtent pas de salir. Les yeux de JungKook croisent ceux de TaeHyung. TaeHyung a les mains qui tremblent. Il ne s'en rend pas compte lorsqu'il referme son casier. Il se retourne. Ses mains s'accrochent aux bretelles de son sac à dos. TaeHyung s'avance et traverse la horde. Il pose ses pieds là où il ne faut pas. Il n'a pas vraiment le droit. Mais personne ne le voit. Les gens ne regardent pas, se pressent, le contournent en frôlant ses couleurs. TaeHyung s'approche de JungKook. Il a quelques mèches devant les yeux. JungKook s'est redressé mais TaeHyung continue d'avancer. TaeHyung utilise ses mains tremblantes. Elles se lèvent et attrapent les cordons du sweat de JungKook. Son visage se penche en avant.
Et TaeHyung pose ses lèvres sur celles de JungKook. Il l'embrasse doucement. Parce qu'il le voulait. Parce qu'il y pensait. Et qu'il en avait vraiment envie. Et que les gens ne lui ont pas fait peur à ce moment là. Et que JungKook a des jolies lèvres et un joli visage et des jolis mots dans le cœur. Et que TaeHyung aime tout ça. JungKook l'embrasse aussi. Il y a deux garçons qui s'embrassent dans le couloir du lycée et le monde s'est arrêté. Et le monde les a regardé. Le monde n'a pas trouvé ça normal. Le monde a rejeté le révolte. Ou c'est la révolte qui a rejeté le monde. Et deux âmes poétesses s'embrassent. Il y a deux garçons qui s'embrassent.
Et dans une autre réalité où la foule n'est ni stupide, ni curieuse, ni égoïste, ni fermée d'esprit, ni odieuse, ni conne, le monde a continué de tourner.
