Métrique.
« Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement »JungKook finit de recopier ces quatre vers de Baudelaire. Il relit deux fois le papier sur lequel il a soigné l'écriture, et s'émerveille chaque fois de la justesse du choix. Les mots sont les bons. Et il s'attriste de voir comme la droitesse lui semble loin, comme ses mots lui paraissent vides et comme ses poèmes sont livides. Il retire les flyers accrochés à côté de la fenêtre et les remplace par sa charmeuse citation. Assis à son bureau, il rêvasse un peu sur son livre, la tête dans les paumes, l'esprit vers la nuit. Il voit. Il voit les maisons éclairées par des lampadaires qui ne connaissent que ces bâtiments photocopiés, prolongés du début à la fin de son quartier. JungKook voit ça et vit là depuis qu'il est petit. JungKook n'est ni trop loin de ses amis, ni trop près du lycée. Il vit dans ces villes où un habitant sur trois a une piscine creusée et où les pelouses sont toujours vertes. Il fait avec. Soudain, entre ses coudes, Les Fleurs du Mal se referme. Ses pétales de papier retombent sur elles même.
JungKook soupire. Il a perdu sa page.
Un roucoulement fend le silence introverti. Un oiseau s'est installé dans la gouttière et il rit. En bas, quelqu'un – son père peut être – a allumé la télévision. Et JungKook espère que ce soir les oisillons seront nourris pas la mère. Puis il porte son stylo à sa bouche et retourne dans ses poèmes, tentant de retrouver le bon vers de la bonne strophe. Ses paupières se ferment sans qu'il ne s'en rende compte. Il oublie même de lutter. Il se laisse aller à une vague torpeur où son corps ne peut plus le porter. Il doit être un peu tard. JungKook travaille dur, ce doit être normal qu'il s'endorme. Il aurait aimé lire encore longtemps, mais l'esprit succombe à Morphée et les mots de son livre se sont envolés.
S'il avait eu les yeux ouverts à cet instant, il aurait vu TaeHyung passer. Toutefois lorsque le bruit mécanique du vélo le fait sursauter, il est trop tard et le garçon a disparu dans l'ombre des pavillons. La silhouette aussi fugace qu'un papillon. Alors JungKook ferme le livre, éteint la lumière et s'endort en travers de son lit. Les étoiles phosphorescentes qu'il n'a jamais retirées du plafond scintillent. Mais personne ne les voit. Car JungKook dort et TaeHyung n'est pas là.
TaeHyung est loin, il suit le trajet indéfini que suivent les roues de son vélo. Il tourne à droite et puis à gauche. Peut être qu'un jour il rentrera chez lui. Personne ne le sait. TaeHyung est parti visiter un morceau de nuit. Ne trouvant pas le sommeil, il se réfugie dans ces allées qui n'appartiennent à personne. A moitié dans le nulle part, à moitié chez les autres, pédalant debout, le vent giflant son visage en cette fraîche soirée d'automne. TaeHyung s'en va, TaeHyung s'envole. Il roule si vite que les lumières des lampadaires deviennent des lignes blanches et qu'il aime ça. Il se dit qu'il pourrait se fracasser contre une voiture à chaque tournant et ça ne le chiffonne pas. Il s'avance et s'élance jusqu'à ce que l'engin dérape et qu'il tombe sur le trottoir goudronné. Son coude est écorché, un peu de sang a coulé à l'intérieur de son pull. Il ignore la douleur et s'allonge sur le chemin. Il cherche, sourit aux étoiles. Il fait froid, il fait nuit. Mais demain tout ira bien.
Peut être que dans une autre réalité où JungKook n'est pas épuisé, TaeHyung et lui auraient contemplé les trous dans le ciel, par où coule un peu de voûte céleste.