Péroraison.

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Péroraison.

Marchant pieds nus, la peau affleurant au creux du sable, ses yeux découvrent une plaine sans fin. Il pousse sur ses jambes et s'élance par dessus les reliefs. Des herbes comme des roseaux ont franchi les dunes, elles sont hautes et orgueilleuses. TaeHyung passe une main à travers, avance et quand il relève la tête, il voit le Grand bleu. Il regarde, il contemple, il admire. Il se tait. JungKook arrive dans son dos, en haut d'une dune, il s'élève et fixe la plage immense. Puis il baisse la tête et croise les abysses d'un autre océan. TaeHyung lui sourit et l'attend. JungKook le rejoint, prend la main qu'il lui tend. Et tous les deux marchent un peu, le long de la grève, pendant que la mer est encore proche.

Il fait beau, le ciel n'a pas d'autre limite que cette ligne toute droite. L'horizon. Quelle vaste source d'inspiration. JungKook regarde l'horizon, TaeHyung regarde JungKook et se demande, s'imagine tous les mots qui dansent sous ces pupilles sombres. Il n'y a pas grand monde sur la berge, et bientôt il n'y aura sûrement plus personne. Ils seront à nouveau les deux seuls survivants de la folie humaine. Ils n'y pensent pas. Ils n'y pensent presque jamais. Quand ils sont seuls, ils oublient qu'il y a toujours eu un monde avant eux, et qu'il y en aura toujours un après. Qui se soucie du destin quand on a l'éternité ? L'éternité.

JungKook prend TaeHyung dans ses bras comme cette nuit là. Il le fait tourner.

JungKook et TaeHyung sont assis l'un à côté de l'autre, les genoux relevés, les pieds presque enfouis et le regard amourachée d'un monde si beau. Le ciel se teinte de jaune. Le jaune va lentement imbiber le bleu. TaeHyung le sait. Mais il aime quand JungKook le dit. Et d'un coup, les mouettes passent, hurlent. TaeHyung et JungKook discutent calmement. Tout s'harmonise. Et parfois le silence. Et durant ces longues absences, ils pourraient presque entendre les chants au loin, les chants des oiseaux, les chants dans les églises que TaeHyung écoutait sans rien dire. Tout a un sens. Alors ils parlent à nouveau. Ils parlent des gens, de Jimin qui part étudier dans la capitale, d'Hoseok qui va probablement explorer le monde, de sa copine qui fera de grandes choses, et puis de ceux qui restent et qui attendent d'être « libres ». TaeHyung dit à JungKook que son père a accepté de financer ses études. JungKook est heureux quand il le fait. TaeHyung sourit. Les mouettes passent. Le jaune se déploie, le soleil glisse. Tout va bien.

Tout s'harmonise. Tout a un sens. Tout va bien.

JungKook se lève et dit à TaeHyung de l'attendre, qu'il va chercher des boissons au distributeur un peu plus haut, au bord de la ville. TaeHyung hoche la tête sans rien dire, le regarde s'en aller. Puis il se tourne vers la mer qui s'éloigne de plus en plus. TaeHyung observe le bleu de l'eau ainsi que ses vagues blanches sous le soleil, l'Océan est une éternité. Mais tous les océans ont un fond, et tous les rivages sont une barrière qu'ils s'efforcent de dévorer. L'ÉTERNITÉ. Qui se soucie de l'éternité quand chaque seconde va si vite ? Tout va bien. Tout a un sens. Tout s'harmonise. Non ? Non. TaeHyung ouvre les paupières. TaeHyung se lève et le vent trépasse. JungKook remonte jusqu'à la promenade qui longe la baie, s'arrête auprès de la machine et y met sa monnaie. Il attend, regarde autour de lui, il y a deux ou trois passants, des couples, des retraités, plus personne. Il récupère les boissons puis se tourne vers la plage, derrière les dunes, le soleil se penche pour embrasser l'horizon. Il fait toujours jour, mais plus pour longtemps. Il redescend sur la plage, revient sur ses pas, voit l'océan, s'arrête. Ses paupières sont si belles quand elles s'ouvrent en grand. Et ses mains s'ouvrent aussi. Et les canettes froides tombent dans la sable encore chaud.

« -TaeHyung ! »

JungKook le voit. JungKook ne comprend pas. Il est si loin. TaeHyung avance vers l'océan, ses pieds quittent le sable humide où ils laissent leur trace, éphémères. Ses pieds rencontrent les vagues et leur écume qui s'étend si loin, si près du sol. Il avance mais il a mal. Et un océan de larmes se met à couler de ses yeux, silencieux. Et un océan de sang se met à couler de son cœur, ouvert. Il ferme le poing sur sa poitrine, serre le tissu de son pull et soupire de douleur. Tout va bien. Tout a un sens. Tout l'égare. Ce matin il a reçu une lettre, il l'a vue sur son bureau. Il l'a lue. Et dès les premiers mots, il a compris qu'il était pris dans cette université. Et il y a tout un tas de mots et de phrases au brouillon qui se mêlent dans sa tête. Il passe une main sur son front, un sanglot franchit sa gorge qui étouffe. Tout s'harmonise ? Non ? Non.

JungKook lui court après. Il traverse la plage et son sable humide, compacte, cette distance tellement grande. Et il se demande comme il a pu aller aussi loin. Il crie son nom. Il crie son nom. Il crie son nom. TaeHyung ! TaeHyung n'arrive même plus à avancer. JungKook le rattrape, prend son bras mais TaeHyung le repousse et essaye de marcher mais son corps tremble d'agonie. JungKook l'appelle encore, moins fort. TaeHyung lui hurle sa douleur, puis il tombe dans l'eau qui lui arrive presque au genoux. JungKook passe son bras autour de son buste et pose son visage dans son cou. TaeHyung ne se débat plus, il a envie de crier sa colère et son chagrin, il n'a jamais voulu détruire le silence à ce point. JungKook murmure des mots tout près de son oreille. Et TaeHyung a le visage dans les larmes et dans l'eau de mer. Puis JungKook se poste devant lui, les vêtements et la peau trempés, il pose ses mains sur son visage.

« -TaeHyung, tout va bien.

-JungKook... Je ne peux pas vivre sans toi.

-Bien sûr que si. TaeHyung regarde-moi. TaeHyung, tu es la personne la plus courageuse que je connaisse. Tu es fort. Et qui que tu sois, avec ou sans moi, tu réussiras. »

TaeHyung sanglote quand il parle, hoche la tête d'abord en négation puis en affirmation. Puis soudain, il passe ses bras dans sa nuque et le serre fort. Puis il l'embrasse. Il l'embrasse, l'embrasse et l'embrasse encore. Il le fait parce qu'il a peur de ne plus jamais l'avoir dans ses bras, tout près, si près, et que sans lui son corps, son âme et tout le reste, rien n'a l'air vrai. JungKook répond, fou, pris de cette même passion. TaeHyung, plonge dans ces yeux si proche des siens.

« -Je t'aime tellement. »

Et sous le soleil qui se couche, sous le ciel qui devient orange puis mauve puis fauve tandis qu'ils perdent la raison, ils s'embrassent et s'aiment plus fort que fort. JungKook lui promet qu'il l'aimera toujours, et sûrement que c'est la vérité pure. Ils s'aimeront toujours. Et même séparés, et même oubliés, la passion restera intacte. Alors TaeHyung se laisse aller contre lui, vide de ses forces mais empli de l'espoir qu'il lui offre. Il y a son âme dans son corps. Et son corps dans ses bras, et son corps dans son corps, et son corps tout partout, et son corps encore encore et encore. Il y a leurs âmes poétesses, figées dans leur malédiction qui s'aiment et qui se tuent à ça depuis le premier jour. Il y a son corps qui tourne dans le vent. Il rit. Et là, sur cette plage au crépuscule, sur cette océan de plomb et de nuit, ils restent là, les jambes dans l'eau, les jambes sales, dans les bras l'un de l'autre. Les vagues dévorent les larmes. Le temps résorbe les vagues. Ils restent là, dans un silence houleux, dans un silence parfait. Et là, ils s'aiment plus qu'ils n'existent.

Et peut être que dans une autre réalité, ils se laissent emporter par le terrible océan.

Âmes Poétesses - TaeKookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant