Hypotypose.
« -Qu'est-ce que font les enfants dehors tard le soir ? »
C'est la nuit. Encore. Il fait chaud. Il fait noir. JungKook marche les mains dans les poches, au milieu de la route. Et TaeHyung met un pied devant l'autre, au bord du trottoir, les bras en l'air. Il n'y a pas de voitures. Il n'y a que de la poussière dans l'univers. De la poussière de Terre et de ciel, tout droit tombée de la Lune. Et elle brille sous les lampadaires qui s'alignent et qui passent quand ils avancent pas à pas. TaeHyung sourit et répond, levant la tête :
«-Des choses stupides. Très souvent.»
JungKook continue d'avancer sur la route déserte. A leur droite, le terrain est en pente. Et de là on voit les lumières de la ville qui scintillent et clignotent comme des diamants coincés dans la roche. C'est un vaste panorama qui ploie sous le ciel immense. Et les étoiles dansent au dessus de la pollution. TaeHyung rejoint JungKook en courant, lui attrape le bras et le fait tourner au milieu de l'asphalte. JungKook pose ses mains sous ses jambes, sous son dos, et le porte dans ses bras. Il est si léger qu'il le fait tournoyer un peu. TaeHyung passe ses mains dans son cou, caresse sa nuque et laisse tomber sa tête en arrière, baignée de vent. Il rit. Puis JungKook le relâche et il s'enfuit vers la ville, reste immobile devant les éclats lointains, puis tend les bras. Comme pour l'étreindre. Et Jungkook l'étreint. Devant les points qui flottent et qui bougent le long des routes, ils attendent. Ils attendent un signal, une chose pour en engranger une autre. Parce que c'est ce que les humains font. TaeHyung caresse les mains de JungKook sur son ventre. La lune est un croissant, fin et agréable. Ils la contemplent un peu.
«-Ma mère dit que je suis fou.
-Elle a tort.
-Tu en es toujours si sûr.
-Peut être que je suis fou comme toi.»TaeHyung se retourne et pose ses mains toutes entières sur les joues brûlantes de JungKook. La cité nocturne se reflète dans ses yeux si noirs. Il y cherche quelque chose. Il attend un signal. Et après un instant, il le trouve. Et il dit :
« -Ce serait bien. »
JungKook attrape ses mains, les laisse là où elles sont. Une brise passe. Les hautes herbes font un bruit sec et une cloche retentit, quelque part. Sûrement un chasseur de cauchemar qui fait son travail, quelque part.
« -Qu'est-ce que font les enfants dehors tard le soir ? »
TaeHyung lève les yeux au ciel, réfléchissant. Là haut, il croise le regard des étoiles. Il attend comme tout le temps, un signal, une chose entre les choses. Et il fait bien d'attendre. Comme toujours. Car à chercher, on trouve.
« -Ils enterrent le passé. »
JungKook pose son front contre celui de TaeHyung. Il se sent bien, les yeux clos. Puis ses paupières s'allument, comme la fleur qui s'ouvre au printemps. Mais c'est déjà la fin du printemps. Si vite passe le temps.
« -Enterrons le passé alors. »
Il emmène TaeHyung de l'autre côté de la route et lui raconte l'histoire des vieux folklores. Quand les hommes jetaient des vêtements sur les arbres pour faire le deuil de quelqu'un. Alors avant de partir, ils laissent leurs chaussures attachées, suspendues en haut des fils électriques. Ils font le deuil du passé. Et ce quelqu'un, c'est un mélange d'erreurs et de regrets, de larme et d'eau salée, de cris et de silences. Et ce quelqu'un restera là. Avec ces chaussures, et ce fil. Perdus dans la nuit pour toujours. Et les deux garçons s'en vont. Ils vont ailleurs, pas à pas, mains accolées pas loin du cœur. Ils marchent longtemps. Ils ne sont jamais fatigués. Et puis finalement, à une heure probablement tardive, ils arrivent devant le lycée. Comme rien ni personne ne leur en interdit l'accès, ils contournent les grands bâtiments et s'aventurent sur le stade esseulé.
« -Les choses sont grandes quand il fait nuit. Regarde. »
Ils s'avancent dans l'air saturé. Il y a un peu de lumière en haut des longs longs poteaux. Et elle tombe sur l'herbe humide. Les garçons tournent en rond, courent un peu, grimpent les gradins et regardent le monde vu d'en haut. Il n'y a personne. Il n'y a pas un son, pas un brin de jour. Ils sont dans la nuit. Et il y fait bon vivre. Alors ils s'éloignent de la rambarde, marchent d'un pas lent, longent tous les étages. Ils se parlent. Ils s'écoutent. Quand TaeHyung réclame des poèmes, JungKook lui en donne. Et bientôt, ils sont à nouveau en bas. Ils se baladent dans l'herbe plus très verte lorsqu'il est tard. Ils se guident l'un l'autre à travers des ténèbres plus si sombres. Puis leurs jambes fatiguées tombent. Et ils tombent aussi. Ils s'allongent face à l'espace interstellaire qui leur fait de grands signes. Et le ciel est rempli d'étoiles. C'est si beau. La grande ours est majestueuse. TaeHyung la trace du bout des doigts. JungKook cueille sa main qui plane dans l'air et la mêle à la sienne pour toucher les cieux. Ils tentent de retrouver quelques planètes. Mais la lune les hypnotisent. Alors ils restent silencieux pendant un long moment.
« -Je pense vraiment que tu devrais postuler pour cette université. »
TaeHyung ne répond rien. Il pose sa joue sur la poitrine de la personne qu'il aime et écoute son cœur amoureux. Et il bat. C'est un son si doux. TaeHyung reste ainsi, entre son cœur et la nuit. Et il aimerait ne penser à rien d'autre. Il aimerait qu'il n'y ait rien d'autre. Il aimerait que ce soit si simple. Mais tout n'est pas si simple. Et il sait, tout au fond, que si JungKook le lui demande, il le fera. Car les choses ne peuvent pas être simples dans un monde si compliqué. Mais il est bien à cet instant. C'est leur ciel, leur planète. Ils sont les seuls qui existent. Ils existent. Ce sont des âmes poétesses. Avant de partir et de rentrer dormir, JungKook demande, comme un secret :
« -Qu'est-ce que font les enfants dehors tard le soir ? »
TaeHyung pense aux chaussures qu'il a laissées là-bas, à la ville qui scintille, aux étoiles qui brûlent, aux poésies qui s'éternisent, au temps qui leur échappe. Sa bouche répond une évidence.
« -Ils rêvent. »
Et peut être que dans une autre réalité, les âmes poétesses enterrent les soucis et les craintes, ainsi le monde est un monde bien simple.