Proverbe.
Le même jour que celui du matin bleu et gris, JungKook étudie à la bibliothèque, seul. Il est capturé par la musique dans ses écouteurs. Et les murs, et les étagères, et les tables, et les gens et lui même, tout a changé de couleur. C'est plus doux, c'est plus quiet. C'est tellement raccordé que ça ne paraît plus si concret. Le jaune est pale. Le rose aussi. Le bleu restera matinal. Et le blanc est omniprésent, à se mélanger dans tout, à se faufiler partout. JungKook balade son crayon sur la feuille polycopiée. Il souligne, il entoure, il raye et griffonne autour des lettres typographiées. Quand il pense avoir assez déformé l'exercice et avoir trouvé une réponse pas totalement incorrecte, il range son cahier entre ses feuilles volantes. A moins que ce ne soit l'inverse. Il ne sait pas. Il s'en fracasse. Puis d'un geste habile, il sort un livre de son sac. Il l'ouvre à la page marquée et relit un passage qu'il a soigneusement surligné. C'est pale, c'est doux, c'est si quiet. C'est le monde d'aujourd'hui, sur des mots d'hier, laissé aux yeux de demain.
Soudain une vague violente balaye les rayons dérangés, les élèves concentrés, la documentaliste énervée. Personne ne l'a sentie. Mais c'est arrivé. Les âmes poétesses ont le corps poignardé. Et lorsque TaeHyung s'est engagé dans le rayon en face de sa table, elles se sont réveillées, elles ont battu des ailes, comme un papillon qu'on a capturé dans une main. Il remue et c'est agréable contre la peau. Palpitation cardiaque. Poésie naturelle. Et même dans sa bulle imperméable, JungKook redresse la tête. Il le voit dans son pull blanc aux rayures mauves et jaunes et pales. Le papillon est libéré. JungKook referme son livre et se lève presque brusquement. Le papillon s'est envolé. Il traverse la distance désuète puis se poste à quelques livres de lui. TaeHyung est dans la lune. Il cherche quelque chose mais ne semble pas le trouver. Il a l'air concentré. JungKook reste là, passe sa main libre contre les reliures plastifiées et fait mine de se perdre entre les couvertures. Il se rapproche lentement. TaeHyung finit par attraper un livre de taille moyenne, abîmé sur les coins et aux pages jaunifiées par les années. Il fait danser le papier, survole vaguement les mots, puis s'arrête. JungKook est maintenant tout près. Les yeux par dessus son épaule, il reconnaît la métrique précise et les lignes concises.
« -Les Poèmes saturniens ? »
TaeHyung sursaute. Le livre se ferme. Ils se voient. JungKook sourit. Ils se regardent de très près, comme devant une image photographiée. Le teint de peau est étrange sous cette lumière embrumée. C'est un peu loin de la réalité. Puis TaeHyung baisse les yeux, baisse la tête, esquisse un petit rictus et retourne le livre entre ses doigts maladroits. Il repense aux vers de la dernière fois. Les mots sous la pluie sont des mots jolis. Il les a trouvés beaux mais il n'ose pas tellement l'exprimer. JungKook le sait. JungKook connaît ses vers obscurs. Il l'implante dans son corps et le récite tard le soir. JungKook se recule et récupère la parole laissée de côté.
«-J'ai un livre qui pourrait t'intéresser.»
TaeHyung pose le regard sur l'épais bouquin que lui tend l'autre garçon. D'un geste lent, peut être hésitant, il le prend entre ses mains si fines. Puis il relève son regard qui brille. Et il y a deux regards qui brillent dans l'ombre d'un couloir aux murs faits de livres.
« -Merci. »
Et peut être que dans une réalité où les âmes poétesses son toujours éveillées, JungKook lui a offert chacun des livres qui aurait pu l'intéresser.