Rythme.
Les Âmes poétesses sont là. Partout. Et nulle part à la fois. Elles sont entre les touches d'un piano, sous les hauts et profonds tableaux. Elles sont aspirées dans les pages des livres, ou immobiles derrière les vitres. Elles sont là. Invisibles. Imperceptibles. Et même quand elles s'endorment sous terre, elles sont encore là. Et même à mille lieux de là, elles se frôlent du bout des bras. Et même perdues dans des ères glacières, elles sont des feux qui ne ternissent pas. Elles sont incandescentes. Elles sont vivantes. Ainsi crient leurs voix au fin fond des silences. Car elles sont toutes les choses qu'on ne dit pas. Elles sont les mots qui n'ont pas de lettres, les fresques qui n'ont pas de peintures et les esprit sans cerveau. Ce sont les esprits libres. Elles sont vivantes. Elles sont là. Partout et nulle part à la fois.
JungKook s'endort partiellement dans sa main, égaré hors d'un temps trop dense pour des aiguilles trop fines. L'horloge est immobile. Le prof débite. JungKook baisse les yeux sur le texte et sur ses notes. Puis il se tourne vers la fenêtre, il se perd. Des mouettes passent dans le ciel. Et c'est comme un réveil. Il se redresse. Le texte est toujours le même. Le prof débite encore, de sa voix lourde, de sa voix lente. Les autres élèves sont tous chuchotements indiscrets, et ennui désœuvré. JungKook se tourne et observe. NamJoon discute en riant avec son voisin de droite. JungKook le voit d'un œil étrange. Puis il s'oriente vers la fenêtre. Le ciel est grand, encore imbibé d'une pluie indolente. Et les nuages sont mi ombres mi lumière. Et parfois il fait lumineux dans le ciel mais sombre sur la Terre. Et le bleu n'en est que plus puissant. Quand JungKook regarde à nouveau l'horloge, la grande aiguille n'a presque pas bougé dans le cadran. Il est bientôt midi. Et il pense à lui, sans jamais s'arrêter vraiment. Soudain animé par une étincelle, il arrache une page de son cahier, écrit un mot sans plus ni rien. Réel. D'encre et de papier. Fait de ciel et d'idées. Il plie alors le carré et le range dans sa poche. Le temps reprend au son de la vie. Les mouettes passent. Elles crient. C'est le son de la vie.
Un peu plus tard, entre le matin et le soir, au milieu d'un couloir un garçon coloré marche. Il voit quelques silhouettes, et une ombre immatérielle, une lumière très lointaine. TaeHyung a eu de nouvelles lunettes. Il les aime bien, parce que leur couleur brune est douce, encore plus douce que celle d'avant. Et TaeHyung préfère les choses douces en ce moment. Il s'arrête devant son casier et l'ouvre d'un geste lent. Quelque chose vole. Quelque chose tombe. Il baisse les yeux, ramasse le morceau blanc. De ses doigts si fins il ouvre le papier plié. Un mot y est tracé. Il dit :
« Mange. »
Plume élégante, bleu d'éternité. TaeHyung reste quelques secondes la tête baissée. Quand il la lève à nouveau, il n'y a plus personne. Il regarde le silence, entend le vide. Il ressent toutes les choses que les gens ont oubliées. Puis il s'éloigne. Un mot. Et le monde se met à bouger. Il hésite quelques instants devant les portes battantes. Il respire et entre dans la cafétéria. Il y a beaucoup de gens, beaucoup d'odeurs, beaucoup de couleurs. Mais très peu sont là. Hoseok est là. TaeHyung s'assoit en face de lui. Hoseok ne dit rien. Mais sourit. TaeHyung baisse les yeux et quand il les lève à nouveau, il n'y a plus personne. Il y a juste un garçon assis quelques tables plus loin. Le garçon est là. Le garçon le regarde. TaeHyung le regarde. JungKook le regarde. Ils se regardent. Les Âmes poétesses respirent. Leurs yeux sont deux océans d'encre où les mots n'ont pas de lettres et les paroles pas de son. Et d'un battement d'aile blanche, ils se sourient.
Et dans nombreuses réalités, même si TaeHyung n'a presque rien avalé, il a essayé. Et ils se regardent. Et ils font couler le ciel, sans plume et sans stylo.