5. Morphée

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- Abygaël -

Nous sortons de la pizzaria, le ventre plein. Sur le chemin, Julia continue de taquiner Laurel à propos de son petit-ami. Javannah me prend à part :

- La personne pour laquelle se sont disputées les filles est dans notre université. Tu vas sûrement le croiser. Il s'appelle Jonathan Cutenoy et il fait partie du Club de football. Jonathan est plutôt doué. Tu en entendras parler. De plus, c'est le meilleur ami de Julia. Il est dans les bâtiments de classe B.

Tout en parlant, elle me montre une vieille photo de groupe et pointe du doigt un jeune homme au fond. Il est tellement discret qu'on le voit à peine.

- Il y a donc différentes catégories de dortoirs ? demandé-je, histoire de continuer la conversation.

- Il existe six bâtiments, commence-t-elle d'une voix sérieuse, deux A, deux B et deux C de 30, 50 et 70 étudiants. Comme tu le sais, nous somme hébergées dans la résidence A. Les immeubles B et C sont situés plus loin et sont moins luxueux. Ce sont des dortoirs comme on en trouve dans n'importe quelle université. Il y a trois dortoirs chez les filles et trois autres chez les garçons.

- Moins luxueux ? Cette université est trop discriminatoire, on dirait qu'elle favorise les étudiants qui ont de l'argent, pensé-je tout haut. J'aimerais bien voir à quoi ressemblent les autres dortoirs.

Je n'ai pas compris le regard étrange que m'a lancé Javannah. En vérité, il a quelque chose qui me travaille. J'ai l'impression d'avoir déjà entendu le nom de Blue River, la ville natale des filles. Bizarrement, je ne me rappelle ni quand, ni pourquoi.

***

Je m'installe dans mon lit, mes écouteurs dans les oreilles. A peine le deuxième morceau a-t-il commencé que je me sens transportée dans les bras de Morphée.

Je cours. C'est tout ce que je peux faire. Courir. Courir sans me retourner. Je dévale la pente qui mène à l'église en retenant mon souffle. Mes pieds me brûlent mais j'ai réussi à le semer. Et pourtant, je sens encore sa présence.

Ma tête me fait mal et je n'arrive pas à encaisser les récents évènements. Je suis coupable. Les larmes coulent sur mes joues, sans me laisser le temps de les essuyer. Malgré tout, un sentiment de soulagement m'envahie, enfin je me sens libérée du poids de tous ces mensonges.

J'entends des bruits de pas. Je me retourne, sur la défensive. Comment se fait-il qu'il ait mis les pieds sur une terre sainte ? Lui, qui d'habitude, n'ose à peine s'approcher d'un bijou religieux, s'aventure dans une église ? Me cacher sur cette terre bénie était de loin la meilleure idée que je pouvais avoir pour lui échapper...

La course poursuite reprend son cours. J'ai beau avoir une certaine avance sur lui, la peur me tiraille le ventre. Je décide de retourner là où tout a commencé. Si seulement il était prêt à m'écouter, à entendre la vraie histoire et les raisons qui m'ont poussée à agir ainsi !

Mais il est désormais entré dans une folie que nul ne peut arrêter. Je continue de courir aussi loin que mes pieds peuvent me porter. Tout ce que j'ai à faire, c'est retourner vers le Grand Arbre.

Essoufflée, je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour voir mon poursuivant. Il me lance un regard féroce qui me fait frémir. Jamais je n'aurais pensé voir une telle expression sur son visage. Je me concentre sur ma course.

Je tourne dans une rue étroite qui sert de raccourci improvisé. Il me suit, aveuglé par sa rage. J'escalade le grand mur qui barre la ruelle et retombe sur mes jambes. Mes pieds me font un mal de chien mais je ne m'en préoccupe pas. J'aperçois l'arbre. J'y suis presque. J'accélère mais mes jambes ne me répondent plus. Je tombe, les yeux toujours rivés sur le Grand Arbre.

Des mains attrapent mes chevilles. Je sens qu'on me tire en arrière. C'est lui. J'essaie de me débattre mais au lieu de ça, je m'évanouis.

MemoriaeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant