Chapitre corrigé !
La Ténébreuse me fixait, un sourcil haussé, avec cet air arrogant qui semblait ne jamais la quitter. Mais au moins, elle n'essayait plus de me tuer. C'était un bon point.
Je lui confiai le livre après une hésitation. Elle s'en saisit d'une main fébrile. Elle était encore faible et je voyais bien que ses paumes la faisaient souffrir. Elle garda néanmoins ses émotions pour elle et fit comme si de rien n'était.
Elle allait ouvrir le livre quand elle leva les yeux vers moi.
— Bon, tu comptes t'asseoir ou je vais devoir me tordre le cou encore longtemps ?
J'obtempérai nonchalamment tout en me demandant s'il lui arrivait d'avoir une parole agréable pour quelqu'un. Je m'installai à côté d'elle de sorte à distinguer les pages du livre, tout en conservant une distance raisonnable. J'avais plus ou moins compris qu'elle n'était pas du genre à coller les gens ou à être collée. Je n'avais pas envie de recevoir une rouste.
Elle ouvrit l'herbier et, tout en observant consciencieusement les feuilles de la branche, commença à le feuilleter, avec une certaine vigueur.
— Et doucement ! Si tu l'abîmes, comment je vais faire moi pour reconnaître les autres plantes ?
Sans même me regarder et sans ralentir sa cadence, elle riposta d'un air concentré :
— Tais-toi, Lumineux. Je vois peut-être dans le noir, mais je suis un être humain imparfait. Je ne sais malheureusement pas faire deux choses à la fois.
Je posai mes avant-bras sur mes genoux et secouai la tête.
— Je m'appelle Soren, pas Lumineux.
— Et moi Loana. Maintenant que les présentations sont faites, tu pourrais juste la fermer ?
J'esquissai un début de sourire. Cette fille était incroyable. De ma vie, je n'avais jamais rencontré personne possédant un si mauvais caractère. Et pourtant, le soleil en était témoin, je devais souvent supporter les humeurs de ma mère la reine et les caprices de mon père.
Mais elle ? Elle battait tous les records.
Elle finit par s'arrêter sur une page et me tendit le livre en tapotant celle de droite. Devant mon air désabusé, elle émit un grognement irrité. On aurait dit que j'étais le dernier des demeurés et que les dieux l'avaient punie en me confiant à elle.
— Bonté divine, il va falloir que je te le lise, c'est ça ? Mais comment as-tu fait pour survivre tout ce temps ? Je suis surprise que tu sois arrivé à cet âge avancé.
Je haussai les épaules. Elle essayait visiblement de me faire sortir de mes gonds, mais elle allait pouvoir s'accrocher. On ne me mettait pas facilement en colère et je n'allais pas perdre mon sang-froid à cause d'une ou deux piques de cette princesse pourrie gâtée.
— Disons que la vision nocturne n'est pas forcément utile dans un monde où la nuit n'existe pas. Tu comptes la lire cette page ou il faut que je te supplie ?
— Évite. Ça serait gênant.
Je souris, amusé, mais elle ne m'imita pas. Elle avait toujours cet air froid et fermé, même quand elle balançait des réparties drôles. Elle inspira profondément et se mit à lire avec fluidité.
— Ton végétal est de la famille des annuels. Il s'appelle... je renonce à prononcer ce mot, désolé.
Je plissai le nez, perdu.
— Ça veut dire quoi ça, « des annuels » ?
— Je ne sais pas comment c'est chez toi, mais chez nous on n'a pas des masses d'arbres, alors tu excuseras mon ignorance si je ne peux pas répondre à toutes tes questions. Je suis pas herboriste.
— Qu'est-ce que ça dit d'autre ? Des propriétés spéciales ?
Elle reporta son attention sur l'écriture penchée de Sélénia.
— Ouais. Ça dit qu'on peut s'en servir en tisane ou le mâcher en cas de...
Ses yeux s'écarquillèrent et elle ferma le livre avec un air dégoûté.
— Hors de question que je m'abaisse à lire la suite.
— Mais... pourquoi ?
Elle fit la grimace et secoua la tête comme si elle venait de lire le truc le plus répugnant qui ait jamais existé.
— Si je prononce les mots « impuissance » et « virilité », ça te suffit ou il faut que je te fasse un dessin ?
Cette fois-ci, je ne pus retenir un éclat de rire.
— Non c'est bon, je crois que j'ai compris l'idée. Je retourne donc dans l'arbre en cueillir une bonne poignée, ça pourra toujours m'être utile.
Elle me lança un tel regard que mon rire redoubla d'intensité et que je me pliai en deux pour étouffer mes hoquets. Elle continuait à me toiser avec morgue, comme si j'étais le dernier des crétins, ce qui ne faisait qu'empirer la situation. Mon fou rire devenait de plus en plus hystérique.
— Honnêtement, je comprends pourquoi ton peuple a perdu la guerre. Si tous tes semblables sont comme toi, Tenuka et moi devrions en venir à bout en buvant notre tisane du matin.
Je m'essuyai les yeux en lâchant quelques hoquets récalcitrants.
— Nous n'avons pas perdu la guerre, rectifiai-je. Tenuka c'est ton frère ? Celui qui m'a aidé à faire descendre Yola de son arbre ?
Elle acquiesça sans rien dire.
— T'es sûr que vous êtes de la même famille ? T'as pas été adoptée ou un truc comme ça ?
Elle serra les dents et me fusilla du regard. Ah. Ma blague était manifestement tombée à l'eau.
— Eh ! détends-toi, je plaisante.
Je me redressai souplement, récupérai l'herbier et allais me diriger vers le torrent pour boire un coup quand je me souvins qu'elle ne pouvait certainement pas se mouvoir à son aise.
— Tu veux boire ? Tu veux que je t'aide à te lever ?
— Je ne suis pas handicapée, me répondit-elle d'un ton acide. Vis ta vie, j'essaierai de faire pareil de mon côté.
— Eh bien... Toi au moins ce n'est pas la reconnaissance qui t'étouffe.
— Non, ce qui m'étouffe ce sont les lourdingues dans ton genre qui se croient drôles.
Je levai les mains en signe de capitulation.
— À ta guise. Mais tu sais que si tu as besoin je suis là.
— Compte là-dessus, l'entendis-je marmonner.
Je retournai à la clairière et vérifiai que Yola était toujours endormie. Rassuré de constater que la voix cinglante de ma compagne d'infortune ne l'avait pas tirée du sommeil, je me dirigeai vers le torrent et me baissai pour y boire.
Je ne l'entendis pas arriver, tout comme je ne m'étais pas attendu à ce qu'on m'attrape par les cheveux et qu'on me tire en arrière, plantant la lame d'un poignard contre ma gorge.
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Entre Ténèbres et Lumière {en cours de correction}
FantasyAnkan. Lancast. Terre de Lumière, et Territoire des Ténèbres. Depuis des générations les Kyrls et les Largs se vouent une haine implacable. Chacun vit dans un monde différent, où règne pour l'un le soleil, et pour l'autre la nuit éternelle. Pour le...