Entre Ténèbres et Lumière {en cours de correction}

Chapitre 6 : Loana

Merci à @CcileCuendet pour ce magnifique fan art!

EDIT: Chapitre corrigé :)

Pister le jarg se révéla plus simple que prévu. Il avait cassé de nombreuses branches au cours de son périple aérien et il nous avait suffi de les suivre pour finir par tomber sur des empreintes dans la mousse.

Je me baissai et les effleurai.

— Le jarg est descendu ici, chuchotai-je plus pour moi-même que pour Tenuka. Les empreintes me semblent assez fraîches. On ne doit pas être loin.

J'avais à peine terminé ma phrase quand le premier cri retentit. Les oiseaux s'envolèrent en piaillant et je tournai la tête dans la direction du hurlement. Sans nous concerter, mon frère et moi nous élançâmes en courant. Nous sautions par-dessus les branches mortes, nous glissions habilement sous les racines aériennes, volant presque, tels deux rapaces silencieux.

Nous arrivions sur les lieux quand le deuxième cri ébranla la forêt. Tenuka et moi nous dissimulâmes derrière un arbre et je pus embrasser la scène du regard. Les poils se hérissèrent sur mes bras.

Un drôle de spectacle s'offrait à nous. À une petite distance de là se tenait un jeune homme de haute stature, à la peau aussi dorée que ses cheveux. Il était de dos et je ne pouvais voir son visage. Il était en train d'assener des coups violents et répétés à la queue du jarg qui tentait de repousser ses attaques tout en essayant d'atteindre une jeune femme perchée dans un arbre. Elle aussi avait la peau dorée et, même si ses cheveux étaient plus foncés que ceux du garçon, ils étaient tout de même très clairs, comparés à ceux de mon peuple. Je sentis mon sang bouillir.

Des Lumineux.

J'en oubliai presque le jarg et éprouvai une soudaine pulsion meurtrière à l'encontre des deux humains. J'avais une furieuse envie de les transpercer de mes flèches. J'en encochai une au moment où la monstrueuse bête abandonnait l'idée de monter dans l'arbre et se laissait tomber à quelque distance du Lumineux.

Il lui fit face et je retrouvai mes esprits. Je n'étais pas là pour anéantir des ennemis ancestraux, mais pour me débarrasser d'une vermine qui mettait la pagaille dans mon monde.

Je changeai donc de cible et tirai sur la bête au moment même où Tenuka faisait de même. Ma flèche atteignit le cou du jarg et réussit à se loger entre deux écailles. Celle de mon frère ricocha en lui éraflant un de ses nombreux yeux.

La bête hurla de douleur et le Lumineux, sans même tenter de comprendre ce qui arrivait, repartit à l'attaque. Un poignard dans une main, son épée dans l'autre, il fit progressivement reculer l'animal à violents coups de lame. Il était certes très adroit et savait ce qu'il faisait, je ne pouvais pas lui enlever ça.

Une violente fureur s'empara de moi. Ce moins que rien allait me voler la victoire. Il allait abattre ma proie avant que j'aie eu le temps d'en venir à bout moi-même !

Sans beaucoup réfléchir, je dégainai mon poignard et bondis dans la mêlée. Aussi vive qu'un trait mortel et plus discrète qu'une ombre, je me glissai sous le corps du monstre, qui était trop occupé à esquiver les coups du Lumineux pour me remarquer. Mon frère, comprenant mes intentions, se rangea aux côtés de notre ennemi pour combattre la bête avec lui et ainsi attirer doublement son attention.

Je plantai mon poignard dans le ventre tendre du monstre à deux reprises et celui-ci poussa un gémissement déchirant.

Je roulai sur le côté pour éviter qu'il ne m'éviscère avec une de ses énormes griffes et me relevai, un poignard dans chaque main. J'éprouvais l'euphorie familière qui précédait la mise à mort d'une proie.

Malheureusement, réalisant qu'il n'avait aucune chance et qu'il était sur le point d'être terrassé, le jarg fit volte-face et disparut entre deux fourrés, éclaboussant de gouttelettes écarlates le sol moussu de la forêt.

J'allais m'élancer à sa poursuite quand mon frère me retint par le bras.

— C'est inutile, Loana. Il est trop rapide pour nous. Laisse-le galoper et s'affaiblir : avec le sang qu'il perd, ça ne prendra pas beaucoup de temps. Et vu les traces qu'il laisse, on va le pister facilement. En plus, il y a de fortes chances que les blessures que tu lui as administrées soient mortelles.

Il ne me fit pas l'honneur d'attendre une réponse et se dirigea vers l'arbre dans lequel était perchée la Lumineuse. Cette lâche pleurait. Elle n'avait même pas combattu et elle pleurait !

Le lumineux barra la route à mon frère, l'air farouche.

— N'approche pas !

— Calme-toi, Lumineux, contra mon frère d'une voix posée. Ton amie est terrifiée. Elle n'arrivera jamais à descendre de là toute seule. Je veux simplement vous donner un coup de main.

— Tenuka ! m'indignai-je avec horreur. Qu'est-ce que tu fabriques ?

Tenuka ne se retourna même pas. Le Lumineux, ignorant mon intervention furieuse, accepta son aide et ils aidèrent sa compagne à descendre de son perchoir. Elle tremblait comme une feuille et cela ne fit qu'amplifier ma colère. Alors que Tenuka, plein de douceur comme à son habitude, l'aidait à se remettre sur ses pieds, je me jetai sur le Lumineux, dans l'intention de lui trancher la gorge.

Mais le jeune homme avait plus d'habileté que je ne le pensais. Il contra mon coup avec son propre poignard et me repoussa d'un geste du bras. Je ne m'avouai pas vaincue et repartais à l'assaut quand Tenuka bondit sur moi et m'emprisonna en enroulant son bras autour de ma taille.

— Loana ! Arrête ! Mais arrête !

Je parvins à recouvrer une infime partie de mon sang-froid et me tournai vers mon frère, fulminante.

— Ils l'ont fait fuir ! hurlai-je en frémissant de rage. Il nous a filé entre les doigts et c'est leur faute !

Le Lumineux, que je voyais mieux à présent que j'étais en face de lui, avait des yeux bleus translucides et un nez droit. Ses sourcils et ses cils étaient plus foncés que ses cheveux et contrastaient avec la couleur de sa peau. J'avais envie de les lui arracher poil par poil.

Il me considéra avec aberration, apparemment incapable de croire à ce qu'il entendait.

— Ce n'est tout de même pas notre faute si ce monstre nous a attaqués ! finit-il par s'écrier avec incrédulité. Tu aurais préféré qu'on se laisse dévorer ?

— J'admets que ça m'aurait évité bien des tracas. Mais tu sais, il n'est pas trop tard pour bien faire...

Le jeune homme resta coi face à ma morgue. Tenuka, qui était sur ses gardes au cas où je repartirais à la charge, se glissa entre nous deux et me fixa avec insistance.

— Nous devrions rentrer, petite sœur. On va finir par nous chercher au village et je suis sûr qu'avec les blessures que tu lui as infligées, le jarg ne s'en sortira pas. Nous avons accompli notre mission. Allons-nous-en.

J'étais sur le point de lui rétorquer que je ne quitterais pas l'Aurore tant que je n'aurais pas écrasé de mon pied la carcasse de cette bête, mais la voix de la raison, habituellement silencieuse, me chuchota qu'il serait sage de l'écouter.

Je rengainai rageusement mon arme, tout en gardant une main sur mon arc, au cas où. Je ne faisais absolument pas confiance aux deux inconnus.

Le Lumineux recula lentement jusqu'à se positionner devant son amie dans la touchante intention de la protéger. J'avais envie de leur tordre le cou à tous les deux, mais mon frère avait raison. Il était temps de retourner à Lancast.

Je lançai un dernier coup d'œil meurtrier aux deux ennemis de mon peuple, fis demi-tour et disparus dans la forêt, mon frère à mes côtés.