Ma vie a basculé le jour où mon père a reçu cette lettre. Elle me concernait directement. Mes parents voulaient me la cacher, mais les quartiers des domestiques ont des murs très fins, et je les ai entendus en parler au milieu de la nuit.- Tu penses vraiment qu'il faut le lui cacher ? Je n'aime pas lui mentir, elle est assez grande pour prendre une décision, dit ma mère.
- Loïce, je comprends, mais elle ne doit jamais apprendre l'existence de cette lettre, et de tout ce que ça implique. Cela fait dix-sept ans qu'on la protège de mon passé, de notre passé, et mon idiot de frère pourrait tout remettre en cause, lui répond mon père.
Un frère ? Mon père ne m'a jamais dit qu'il avait un frère. Il a toujours prétendu être fils unique, et orphelin de surcroît. Il n'en faut pas plus pour que je sorte du lit et me précipite dans leur chambre.
- Alia ! s'exclame ma mère, surprise. Pourquoi tu ne dors pas ?
- Parce que je vous entends comploter dans mon dos depuis tout à l'heure. Qu'est-ce que je ne dois pas apprendre ? Pourquoi m'as-tu caché que tu avais encore de la famille, papa ?
- Oh, Alia, soupire-t-il. Écoute, ce n'est pas...
- Ne me dis pas que ça ne me regarde pas, le coupé-je. Je t'ai entendu très clairement dire l'inverse.
- Jean ...
Cela suffit à faire capituler mon père. Il me tend une feuille de papier, une lettre manuscrite sur papier épais, avec une écriture calligraphiée. Une lettre venant d'un Élu. Nous, les Gradés, ne savons pas écrire. Nous tapons à l'ordinateur, bien sûr, mais impossible de coucher quoi que ce soit sur papier. Il faut que tout ce que nous écrivons soit enregistré par la royauté, c'est une mesure de contrôle pour « la sécurité nationale », dixit le Roi en personne.
Je regarde la lettre, mais je ne trouve pas encore le courage de la lire. Qu'est-ce qu'il y a, là-dedans ? Pourquoi mes parents voulaient-ils à tout prix me le cacher ? Je relève la tête et les regarde. Ils ont l'air inquiet, mais ma mère me sourit.
- Avant que je la lise, explique-moi, s'il-te-plait, pourquoi tu ne voulais pas que je connaisse son contenu, demandé-je à mon père.
Mon père pousse un soupir théâtral, mais je vois dans ses yeux qu'il se résigne, et il commence à parler :
- Il y a presque vingt ans, je suis tombé amoureux de ta mère. Follement amoureux ! Je ne pouvais pas imaginer vivre sans elle, mais... j'étais un Élu (ma mâchoire se décroche à ces mots et je suis incapable de prononcer un mot tellement je suis sous le choc) et elle était une Graine. J'ai renoncé à mon statut pour l'épouser, et nous sommes devenus des Lys quelques mois plus tard. Je n'ai jamais regretté mon choix, et quand tu es née, j'ai su que jamais je ne pourrais le regretter. Je vous aime plus que tout au monde.
Ainsi, il avait renoncé à son statut d'Élu pour ma mère. Je dois admettre que c'est une preuve d'amour irréfutable. Ma mère sourit tendrement en le regardant, et leurs mains se cherchent avant de se trouver et de s'étreindre, et enfin, ils se tournent vers moi et me regardent. Je suis folle de rage d'un côté, mais attendrie de l'autre, ce qui ne m'aide pas à trouver une répartie cinglante, alors je me contente de ça :
- Et ta famille ?
- Mon père est mort quelques mois plus tard. Je pense qu'il voulait me pardonner, et me racheter mon titre d'Élu, et je ne doute pas que s'il avait connu ton existence, il l'aurait fait. Je n'ai pas pu lui dire au revoir, mon frère m'a même refusé ça. Je me suis présenté à l'enterrement, mais il a demandé aux Aigles présents de me jeter dehors. Ça a été très dur, sur le coup, mais ça m'a fait comprendre que mon frère ne m'aimait pas. C'est ce jour-là que j'ai décidé de ne plus jamais parler de ma famille.
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Lys (Terminée)
RomanceAlia est une Gradée, une Lys pour être précis. Sa vie a basculé le jour où son père a reçu une lettre d'un Elu, son oncle, dont elle ignorait jusqu'à l'existence. Elle peut changer sa vie ainsi que celles de ses parents à tout jamais, mais est-ell...