10. Rosbif

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   -   Bien, je pense que vous êtes suffisamment lucide pour commencer ! Dit le docteur Clark.

   -   Qu'allez-vous faire ?

   -   Voyons, vous avez la tête sur les épaules ! Nous avez dû comprendre !

   Il apporta un meuble sur roulette en dehors de mon champ de vision. J'entendis d'horribles cliquetis métalliques et des éléments amovibles que l'on serrait. J'étais mort de trouille à l'idée que cet homme puisse me découper le crâne.

   -   Vous débattre est inutile monsieur Hillman. Vos liens sont conçus pour ce genre de choses. Bien, cela risque d'être douloureux mais je ne peux pas vous donner d'analgésiques qui pourraient troubler l'activité de votre cerveau. J'ai besoin que vous soyez opérationnel à cent pour cent ! Me dit-il avec cette écœurante jovialité.

   -   Qu'allez-vous faire ? Répétais-je.

   -   Bon je suppose que vous avez le droit de savoir à ce niveau-là. Je vais stimuler votre glande pinéale en prenant garde à ne pas endommager le reste. Cela aura pour effet d'initier une dérive à partir de votre seul cerveau ! C'est incroyable n'est-ce pas !? Je dois dire que j'ai mis longtemps à affiner la technique pour que les patients y survivent mais vous n'avez pas à vous inquiéter !

   Je sentis un repose-tête métallique m'entourer la nuque empêchant ainsi tout mouvement. Il fixa sur ma tête un étrange casque couvert d'électrodes. Ma respiration s'accéléra, mon cœur faisait des bonds dans ma poitrine et mes mains tremblaient. Je n'étais pas un aventurier, je n'étais qu'un banal professeur de fac qui ennuyait ses élèves. Je sentis qu'une tondeuse passait sur l'arrière de mon crâne. Que faisait-il ? Raser quelqu'un était la procédure standard pour une opération chirurgicale. Mais je n'eus pas le temps de m'étendre en hypothèses. Une horrible de douleur me transperça l'arrière du crâne. Un impact pénétrant. Une machine venait d'enfoncer quelque chose comme une aiguille dans mon crâne.

   Inutile de vous dire que la douleur était plus qu'intenable. Je hurlais sans retenu dans la pièce froide. Je sentis peu à peu les sensations du reste de mon corps s'amenuiser et des taches de lumières se mirent à danser dans mon champ de vision. A ce moment je ne pouvais penser à rien d'autre que la douleur mais il venait d'effleurer mon lobe occipital et de perforer mon lobe pariétal. J'entendis alors des bribes de mots étouffés et la réalité se mit à vaciller. Des lumières flamboyantes se mirent à jaillir du corps du docteur Clark et celle de la lampe au-dessus de ma tête vira au rouge. Puis un ignoble sifflement retentit et les contours se troublèrent. Ma tête me faisait mal. Les contorsions et distorsions s'amplifièrent et bientôt la logique du monde s'envola de nouveau. Je me projetais. Et cela sans l'aide de la machine. Mais cela n'avait rien à voir avec les autres fois. J'avais l'impression qu'on me jetait ligoté dans un lac d'acide. Un véritable enfer. Mon esprit n'était plus qu'une plaie incorporelle. Tout devînt sombre. Les vapeurs noires huileuses se découpèrent à travers l'obscurité. Ils me voyaient. J'étais entouré de ces choses. Ces horribles créatures qui vivaient entre les mondes et semblaient en garder les frontières. Non. Je ne devais pas rester là. Ils s'approchaient de moi. Je fît un nouveau bon. Je sentis l'éternité me traverser. C'était dur. J'avais l'impression de traîner des tonnes. L'espace semblait se fendre lorsque je parcourais la quatrième dimension. Oui. C'était très différent de mes précédentes projections. Une sensation d'oppressement m'écrasait en permanence. Mais je sentais encore l'aiguille se frayer un chemin dans mon crâne. Elle semblait gigoter et s'éloignais lorsque je faisais un saut.

   A chaque mouvement mon corps me brûlait et était un peu plus écrasé. Mais la sensation la plus terrible. La plus grande des douleurs était celle qui traversait le centre même de mon système nerveux. Je devais aller plus loin. Malgré la douleur je devais traverser la barrière des six degrés. Je l'avais déjà fait auparavant. Je savais comment m'y prendre. J'inspirais à fond et mon corps sembla se briser sous l'effort. Comme si on me comprimait pour rentrer dans un toasteur. Oui. La sensation de brûlure, l'étouffement, et la compression. Le toasteur était une excellente manière de décrire ce que je ressentis. Puis la douleur dans mon crâne finit par s'estomper totalement. J'étais enfin libéré. J'en avais fait suffisamment. Je laissais retomber mon effort et la pression me rejeta d'elle-même. Comme un obus est éjecté par la combustion de la nitrocellulose d'un canon. Une infinité d'images traversèrent mon champ de vision sans que je puisse les comprendre. Puis tout s'éclaircit. Je retrouvais les sensations de mon corps et avec elles une horrible migraine. J'avais des vertiges et la nausée. J'étais debout. Je sentis une odeur étrangement familière. C'était du rosbif. J'avais faim. Et mal aussi. Ma peau était brûlante. Mais où étais-je ? Le docteur Clark m'avait-il déplacé pendant la projection ? Je retrouvais le sens de la vue et reconnus une salle de bain. Je trébuchais et me cognais contre le mur. J'avais beaucoup de mal à garder l'équilibre. Mais où étais-je à la fin ?

   Je parvins à sortir, fit quelques pas et me retrouvais devant une image tout à fait singulière. Une mère était en train de servir la fameuse viande fraîchement découpée à son fils et à son mari. Une scène tout à fait ordinaire en omettant le fait qu'un homme nu venait de sortir de la salle de bain qui ne comportait pourtant aucune issue.

The Weird Tales of Jack HillmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant