28. Son nom

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   Comme je le pensais. La clé de Miranda se mit à cliqueter dans le cœur inanimé telle une montre terrifiante. Ma jambe était inutilisable. Mais je me maintenais suffisamment droit pour observer le corps sans vie du garçon se relever. Ses intestins traînèrent à ses pieds. Miranda émit un ignoble rire malfaisant avant de lui enfoncer ses ongles noirs les yeux. Le petit corps ne réagit pas. Mais Miranda se mit à parler en rythme avec ses actions. Chaque phrase correspondant à une mutilation.

   -   Oh toi qui es resté pure des plaisirs mortels. Je t'ôte le désir charnel, la vision de l'être chère, le goût des repas chaleureux, le pouvoir de saisir cet être et enfin celui d'entendre sa voix. Condamné à errer seul parmi les vivants, rejoins le monde des morts et appel celui qui t'y emmènera !

   Puis l'enfant se mit à marcher ou plutôt à tituber gauchement en s'éloignant du groupe. Il avançait en traînant les pieds en direction de la forêt sombre. Et alors qu'il posait le pied à terre, l'horizon rougeâtre se trouva obscurcit. Quelque chose de sombre et de gigantesque se tint au-dessus des griffes noires sylvestres.

   Cette chose qui vint vers l'enfant cette nuit-là, cette même chose qui avait hanté mes cauchemars pendant des mois, cette chose que Miranda et son horrible bande venaient d'appeler.

   -   Il est là !

   -   Oui ! Oui ! Quelle belle nuit !

   -   Oui !

   -   Quel bonheur !

   -   Iyubblath !

   -   Iyubblath !

   -   Iyubblath ! Crièrent-ils tous en cœur.

   Oui. C'était bien lui. J'aurais espéré me tromper en interprétant le rituel. Iyubblath, La Fin, le Silencieux, le Roi sans couronne aussi appelé Ryk'ant Seth. Une entité primordiale possédant trop de nom qu'un seul monde puisse s'en souvenir. Je restais figé, résigné et mortifié par le spectacle qui se dessinait devant moi. C'était évident. Il n'y avait qu'ici qu'Il pouvait apparaître. Seules les caractéristiques spatiales de cet endroit permettaient la matérialisation de son corps au milles vies sur ce plan physique.

   Impossible de saisir l'entièreté de son être. Ses contours étaient flous comme s'il se dissolvait dans un brouillard morbide. Il s'élevait sur le ciel rouge au-dessus des arbres de la forêt noire.

   Ses immenses membres à trois doigts se levèrent et se posèrent devant les ombres sylvestres. Il n'avait pas de visage ni aucun trait apparent. Son corps était allongé à l'infini et des nuages sombres se déversaient de sa surface. Je le voyais mieux que quiconque. Sa substance avait quelque chose de tout à fait invraisemblable. Il n'aurait pas pu exister réellement si son pouvoir ne pliait pas les lois de la physique comme on noue une corde.

   Des arcs électriques silencieux se dégageaient des volutes vaporeuses noires. Le silence. Oui, il n'y avait pas le moindre son qui émanait de lui. Comme si sa présence faisait taire les vibrations de l'air. Et à son approche mes propres sons s'évanouirent. Ma voix, ma respiration et mon propre cœur devinrent muets. Les clameurs des monstres et de la vieille femme s'éteignirent à leur tour pour laisser place à un silence pesant et assourdissant.

   Une terrible panique m'envahit. Je ne puis d'écrire la terreur la plus primaire qui s'éleva en moi à ce moment.

   Puis tout disparu. Je me retrouvais comme noyé dans un liquide épais. Comme si l'espace lui-même m'avait rejeté pour m'envoyer ailleurs. Je me débâtais et remontait à la surface avant d'atteindre la rive. J'étais à l'observatoire, à quatre pattes devant Horus qui me regardait avec des yeux compatissants. Sa peau noire luisait sous la lumière des étoiles.

   -   Alors Monsieur Hillman ? Qu'avez-vous donc vu là-bas ?

   -   Qu... quoi ? Je ne comprends pas. Dis-je un peu hébété.

   -   C'est pourtant simple. Il y a des lieux que je ne peux surveiller. Et c'est en ces lieux que se cachent certains pour faire des choses en secret. J'ai eu vent de la présence de quelqu'un là-bas alors je vous y ai envoyé pour savoir.

   -   Vous voulez savoir ce que j'ai vu là-bas ? Dis-je en me relevant sur ma jambe qui avait retrouvé son état normal.

   -   Bien sûr ! C'est pour ça que j'avais besoin de vous !

   -   Très bien. Alors écoutez-moi bien. Celui que j'ai vu la bas...

   -   Eh bien ? Qui était-ce ?

   -   Le Roi sans couronne. Répondis-je en tremblant.

   -   Qu'avez-vous dit ? S'indigna-t-elle.

   -   Vous m'avez bien entendu. Et s'il est apparu, c'est que la fin est proche.

   Je me retournais et la laissais sur place pour replonger dans l'océan d'étoiles. J'ouvris les yeux, calmais mon hyperventilation et me redressais sur mon lit. Mon corps n'avait pas bougé de chez-moi. J'avais donc ressentit tout cela par la seule expérience de mon esprit. Mais ce que j'avais vu n'était pas un rêve. C'était bien trop terrible pour être un cauchemar.

The Weird Tales of Jack HillmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant