12. L'étranger

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   Naïf. J'étais incroyablement naïf ! Penser pouvoir comprendre le monde. Savoir comment tout cela fonctionnait. Impossible. Pure folie de ma part. Je pensais sincèrement qu'après avoir traversé la quatrième dimension j'avais vu tout ce qui était extraordinaire et que plus rien ne pourrait m'étonner. Mais quelque chose de bien plus terre à terre, de bien plus réel, et surtout appartenant à notre propre parcelle de l'univers m'a ramené à la raison. Ou plutôt à la folie. Cette chose que j'avais prise pour un être humain m'avait regardé à travers les vitres teintées. Le passager le menaça de son arme mais il ne fit pas le moindre geste. Le soleil tombait bientôt sur l'horizon. La nuit s'invitait sur cette route de campagne peu fréquentée. Et avec elle arrivait les pires horreurs.

   De terribles visions me traversèrent l'esprit. A propos de ce monstre à forme humaine. Je le sentais, il était différent. Je pouvais sans savoir comment, dire que cette créature avait été humaine mais avait perdu quelque chose d'irremplaçable. La peur me vrilla les entrailles et la douleur de ma blessure à la tête se réveilla. L'homme en noir criait désormais. Impossible de distinguer nettement le visage de cet étranger car il portait un sweater à capuche. Oui c'était le mot le plus adapté pour le désigner. Il venait de ce monde mais n'y appartenait en aucune manière. Un blasphème qui se tenait debout au milieu de cette route de plus en plus sombre. Un coup de feu retentit. L'homme en noir avait touché l'étranger à la cuisse. Je ne vis pas vraiment s'il saignait ou pas mais il ne bougea pas. Ne s'écroula pas. Il resta sans un mot comme suspendu dans l'air. La panique se lisait sur le visage du passager en noir. Le conducteur lui observait la scène, prêt à bondir de son siège si nécessaire. Je le savais. Il ne fallait pas rester là. J'en informais mon ravisseur mais il ne s'en émut pas. Une autre balle fusa et traversa le bas ventre de l'étranger. Toujours rien. Je frissonnais de terreur en voyant la lueur du jour disparaître à vue d'œil derrière les collines au loin.

   Avec l'encouragement de son collègue, le passager s'approcha et braqua le canon de son pistolet sur la tempe de l'étranger. Ce dernier sembla alors secoué par de très légers tremblements. Presque imperceptibles. Mais il bougeait, j'en étais certain. Il y avait quelque chose de terriblement répugnant chez lui. Une hideuse puanteur indescriptible. Comme si à tout instant son corps pouvait se fondre en un millier de nuisibles rampants. Puis il releva la tête. Très lentement. Je ne pouvais bien sûr rien entendre à cause des vitres de la voiture mais mon esprit ne pouvait s'empêcher de former de terribles sons de craquements à cette image. Je tuais mon propre cœur pour éviter de hurler.

   Tout se passa très vite. La main sombre s'était redressée et s'était jetée au visage du passager comme mue par une volonté propre. Le coup était parti. Et cette fois l'étranger tomba. Je n'eus pas le temps de rassurer avant de voir le visage de l'homme en noir qui se tenait encore debout éclairé par les phares de la voiture. Son visage. Il n'était plus là. Cette vision d'horreur me fit sombrer dans la panique la plus totale et je lâchai un hurlement inhumain. Ce qui avait quelque secondes plus tôt été un homme se laissa tomber à terre comme une vulgaire carcasse ensanglantée. Plus rien n'avait de sens. Le conducteur passa la marche arrière et appuya sur l'accélérateur mais la voiture heurta quelque chose et s'arrêta net. Je n'osais me retourner pour distinguer l'horrible vérité. Trois étrangers au regard livide bloquaient l'automobile à bout de bras. Bientôt d'autres sortirent des fourrées et du fossé au bord de la route pour nous encercler. La nuit était tombée sur la petite route de campagne peu fréquentée.

The Weird Tales of Jack HillmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant