Chapitre XIX : Infaillible

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Musique : aots2m他3
Par Hiroyuki Sawano

Je grelottais. Agenouillée sur le sol humide, j'étais transie dans mes vêtements de combat trempés et en lambeaux. Le vent soufflait par rafales mordantes. L'équipage rentré dans les cabines, je restai seule sur le pont avec deux machinistes. Je les regardai du coin de l'œil. Ils fumaient tous les deux d'un air nonchalant, égrenant de temps à autre leurs cendres sur le pont. Néanmoins, ils gardaient leur arme à portée de main, prête à servir. J'inspectai mon entourage du regard. Peut-être était-ce le bon moment ? Cette occasion ne se reproduira peut-être pas... je n'avais pour seule garde deux mécaniciens distraits... Je regardai le bastingage, à quelques mètres de moi à peine. Même entravée et exténuée, j'aurais peut-être la force de courir vers la barrière et sauter par-dessus, puis de rejoindre la berge à la nage...
« Oh que non. N'y pense même pas ! » tonna subitement une voix tout près de mon oreille. Je sursautai de frayeur, et regrettai immédiatement cette réaction de faiblesse. À quelques centimètres de mon visage était pointé le canon d'un fusil qui s'était levé sans que je m'en aperçoive. L'homme derrière l'arme me fixait intensément. Son regard noir me défiait de le sous-estimer.
« Reste à ta place bien sagement, espèce de monstre. Tu crois que sais pas ce que tu manigances ?... Tss... T'as plus de valeur vivante que morte, ça me ferait chier de devoir t'abattre... Mais en même temps, je préfère encore te voir morte que libre. Alors, j'hésiterais même pas une seconde, sois-en sûre. »
Il ricana en me pressant rudement son canon contre le crâne. Je m'efforçai de ne laisser transparaître aucune émotion. Je ne voulais pas leur donner la satisfaction de voir ma douleur.

Le second machiniste se contenta de me regarder de haut, avec une expression mêlant haine et dégoût. J'avais déjà vu ce genre de regards... Mais c'était la première fois que je les voyais tournés contre moi. Je pensais être insensible aux regards des autres... Et pourtant cela me rappela que j'étais entourée uniquement de gens qui me haïssaient, loin de chez moi... Entourée de ces hommes, je me sentais plus seule que jamais. Je compris que toute tentative était vouée à l'échec... pour le moment. En attendant, il me faudrait attendre, et observer... Et surtout ne pas se laisser décourager... Je ne les laisserai pas me briser ainsi.

En effet, quelques minutes seulement après être partis, les soldats ressortirent de l'intérieur du navire. Désormais armés jusqu'aux dents, ils portaient de larges paquetages de matériel, qu'ils chargèrent sur chacune des petites embarcations situées sur le pourtour de la coque du navire, méthodiquement et précautionneusement. Un véritable arsenal passait ainsi devant mes yeux. Il y avait là pour plusieurs tonnes de cordes, serrées en nœuds, de longs tuyaux, enroulés sur eux-mêmes, de lampes, de pelles, de marteaux, de pioches et d'autres instruments que je n'eus pas le temps d'identifier. Des caisses portant des symboles plutôt dissuasifs attirèrent également mon attention. Je pouvais facilement imaginer ce qui se cachait à l'intérieur... Ce déménagement interminable aux airs de préparation à la guerre avait quelque chose de très lugubre. Que comptaient-ils faire avec tout ça ?... J'avais l'impression de voir défiler devant mes yeux toutes les pièces d'un puzzle sans pouvoir imaginer sa forme finale. J'avais beau examiner ces préparatifs, je n'arrivais pas à percer leur intentions à jour.

Viktor s'approcha alors de moi.
« Lève-toi, lâcha-il. Tu vas monter dans le même canot que moi. Ça me permettra de garder un œil sur toi... Profites bien du répit, meurtrière. Mais t'inquiètes pas, toi et moi on en a pas encore fini. Ne crois pas que tu t'en sortiras à si bon compte après ce que tu as fait. »
J'obéis sans broncher. Je décidai de jouer la bête docile et effarouchée pour le moment. Si je ne pouvais agir maintenant, je pouvais cependant essayer d'endormir leur méfiance. Le moment viendrait bien où une brèche s'ouvrirait dans leur garde...

Un amour à contretemps - EremikaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant