Chapitre XXVIII : Latent

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Je ne me souvenais plus à quel moment les tirs avaient cessé de retentir derrière moi, mais le silence était finalement revenu. Je marchais à présent dans la pénombre, seul, au milieu de la tempête qui faisait toujours rage. Pourtant, par-dessus le vent hurlant, je les entendais toujours... Les cris des soldats. Les coups de feu. Le son de ma course éperdue dans la boue, et ma respiration haletante. Des images à glacer le sang me revenaient sans cesse, comme gravés sur ma rétine.

Est-ce que... Est-ce que tout ceci était bien réel? Je me voyais encore face à ces hommes... Je revoyais le feu jaillir du canon de mon fusil, et mes ennemis s'effondrer soudain, le corps percé de balles. Je revoyais l'effroi indicible sur leur visage, à l'instant où ma lame s'enfonçait dans leur chair, et le sang qui coulait, abondamment, sur mon poing serrant le manche du couteau.

Je ne savais pas comment mes jambes me portaient encore, comment je pouvais encore avancer ainsi... Je n'osais plus regarder mon propre corps. J'avais peur de découvrir ce à quoi je ressemblais en ce moment. Probablement à un cadavre ambulant... J'avais été touché, je le savais. Je me souvenais de cette sensation si désagréable de ce corps étranger s'enfonçant dans ma chair, se brisant en éclats à travers mes entrailles... Sans cette vitalité inhumaine qui me maintenait en vie en dépit de tout, je serais mort depuis longtemps.

Ce pouvoir me dépassait... Mon corps était déjà brisé, mais la douleur me semblait lointaine, sourde, presque oubliable... Toute force avait quitté mon corps, et pourtant j'avançais encore. Ce qui se passait dans mon corps était anormal, je le savais. Je ne pouvais pas pousser indéfiniment mon corps au-delà de ses limites. Chaque seconde qui passait où je trompait la mort ne faisait qu'amplifier les répercussions sur ma santé. Mais je devais continuer. Je ne devais pas perdre de vue la raison pour laquelle j'étais ici. Je regardai mes mains, tremblantes et couvertes de sang coagulé.

Oui...

J'avais tué ces hommes, de mes propres mains. Mais je savais pourquoi je l'avais fait, et je ne regrettais pas mes actions. Je le faisais pour toi, Mikasa. Je ne laisserais pas notre combat être vain. Je tiendrais ma promesse.

Je ne savais pas où j'étais, ni où j'allais. J'étais encerclé par la tempête, dans une prison opaque de pluie qui s'abattait sur moi avec une violence qui ne faiblissait pas. Mais une chose était sûre : je touchais au but. Le reste des Mahrs était quelque part devant moi, affrontant comme moi les éléments. Et avec eux se trouvait Mikasa. Pour le moment, je devais seulement continuer à avancer, en dépit de mes blessures et de l'orage.

Au moment où j'atteignais le sommet d'une petite colline, un éclair traversa soudainement le ciel noir, révélant alors brièvement la silhouette écrasante de l'avant-poste, s'élevant devant moi. C'était là. C'était là qu'ils allaient, pas de doute possible. Ils y étaient probablement arrivés déjà à l'heure qu'il était. Les bâtiments devaient avoir été désertés par tous les soldats du bataillon d'exploration qui y étaient restés, qui étaient pour la plupart des nouvelles recrues n'ayant jamais combattu. Affronter des titans dans cet environnement sans aucune expérience relevait du suicide... Mieux valait pour eux qu'ils aient fui à cheval en direction des Murs, quitte à laisser l'avant-poste sans défense. Quant aux Mahrs, ils n'étaient pas venus ici par hasard. Je commençais à comprendre ce qu'ils cherchaient à faire là... Mais c'était le dernier de mes soucis pour le moment. Je devais seulement arracher Mikasa de leurs griffes, le plus vite possible...

À nouveau plongé dans la pénombre, je marchai discrètement en direction des bâtiments, à l'aveuglette. Impossible de savoir si des soldats Mahrs se trouvaient aux abords de l'avant-poste, guettant ma venue. Dans l'obscurité, j'étais encore trop loin pour être repéré... Mais je restais sur mes gardes.

Un amour à contretemps - EremikaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant