Chapitre XXVII : Flambeau

872 58 44
                                    

Le temps pressait... Si Eren n'arrivait pas dans très peu de temps, nous ne pourrions plus rien faire contre eux. Karl le savait aussi bien que moi. De retour dans l'entrepôt, il jetait sans cesse des regards inquiets vers l'extérieur, et surveillait fébrilement la quantité de carburant siphonnée. Il guettait comme moi l'arrivée d'Eren, malgré la tempête et les ténèbres qui empêchaient en réalité de voir à plus de quelques dizaines de mètres aux alentours du bâtiment. Bientôt, ils seraient prêts à partir, ayant obtenu ce qu'ils étaient venus chercher...

À chaque instant, je prenais un peu plus conscience que la scène presque banale qui se déroulait devant mes yeux était celle de ma vie toute entière qui s'écroulait. Impuissante, j'assistais en ce moment même à la mort de mes rêves et de tout espoir d'avenir heureux, anéantis par l'ennemi. Si ils gagnaient aujourd'hui, je perdais absolument tout.

Mais quelque chose d'autre m'inquiétait. Peut-être encore plus, si cela était possible, car, de toute évidence, quelque chose se tramait à mon insu. En effet, contrairement à Karl, Viktor n'était toujours pas revenu. De tous les Mahrs, il était celui qui semblait maîtriser la situation avec le plus de lucidité, et je ne pouvais que redouter ce qu'il préparait. J'étais devenue convaincue qu'il était notre ennemi le plus dangereux ici, bien plus que les autres soldats qui ne faisaient qu'obéir aux ordres en désespoir de cause. S'il n'était pas avec les autres actuellement, c'était certainement qu'il préparait quelque chose, et cela ne me plaisait pas du tout... Il était capable de tout.


Finalement, les hommes refermèrent hermétiquement la vanne d'une dernière cuve de carburant, et la traînèrent péniblement à l'extérieur. Vraisemblablement, ils possédaient désormais tout le carburant dont ils avaient besoin. Cela représentait une quantité ahurissante à mes yeux, mais avec le matériel volé et les chevaux du bataillon d'exploration, transporter une telle masse jusqu'à leur navire ne me paraissait plus un exploit irréalisable... Paniquée, j'imaginais déjà ce qui allait se passer ensuite. Les Mahrs allaient quitter l'avant-poste, fuir le plus vite vite possible vers leur navire en m'emmenant avec eux...

Cependant, contrairement à ce à quoi je m'attendais, je ne vis pas les Mahrs se précipiter à l'extérieur pour quitter les lieux aussi rapidement que possible. Au contraire, ils restaient impassibles, attendant de nouveaux ordres. Karl glissa alors quelques mots aux soldats, et ces derniers éteignirent un à un leur torche, plongeant ainsi à nouveau l'entrepôt dans l'obscurité complète.

Désormais, seuls se faisaient entendre le bruit du vent hurlant et celui de la pluie qui battait furieusement sur le toit du bâtiment. Ils se réverbèraient et résonnaient inlassablement dans tout l'entrepôt, mais je n'avais pas moins l'impression d'un silence lourd et inquiétant face à l'impénétrable mutisme des hommes qui m'entouraient.

Avec le même calme perturbant, les soldats Mahrs sortirent du bâtiment. Du canon de son fusil, Karl m'intima de faire de même.

Dehors, je retrouvai avec déplaisir la pluie portée par un vent déchaîné qui me glaçait les os, traversant comme des lames ma cape et mes vêtements déchirés. Les rafales plaquaient mes cheveux trempés contre mes joues, recouvertes de boue et de sang séchés.

À quelques mètres de moi attendaient au beau milieu de la tempête plusieurs chevaux, attelés à des charrettes sur lesquelles étaient chargées de lourdes cuves en métal. Je reconnaissais ces bêtes. Elles faisaient partie des écuries du bataillon d'exploration, et, bien que dressées à ne jamais céder à la panique, ne restaient en place ici que parce qu'elles étaient retenues avec force par plusieurs hommes.

Autour de moi, la tempête et la nuit obscurcissaient tout, élevant un rideau de pluie dansant, au-delà duquel des silhouettes sombres semblaient surgir de nulle part, puis s'évanouissaient aussi vite dans le vent, simples illusions. À chaque instant, j'espérais voir émerger de la tempête la silhouette d'Eren, mais seules se dessinaient sous mes yeux des ombres fugitives, aussi vite disparues qu'elles n'étaient apparues.

Un amour à contretemps - EremikaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant