Un amour à contretemps - Eremika

Chapitre XXI : Lumière

Peut-être qu'il disait la vérité. Peut-être que si je leur disais ce qu'ils voulaient savoir, tout rentrerait dans l'ordre. Peut-être qu'ils nous laisseraient vraiment tranquille si nous leur permettions de s'en sortir. Mais s'il mentait... S'il ne tenait pas parole après avoir eu ce qu'il voulait, car rien ne l'en empêcherait... Ce serait la fin, pour Eren et pour moi. Non, je ne pouvais pas leur faire confiance. Je refusais de parier ma vie et celle d'Eren sur leur seule parole. Ils étaient nos ennemis. Peu importe ce qu'ils pouvaient dire pour me convaincre, les aider reviendrait inévitablement à nous tirer une balle dans le pied, je serais trop naïve d'espérer le contraire. Je devais essayer de leur cacher la vérité, de les induire en erreur, c'est tout ce que je pouvais faire...

« Vos navires... À chaque fois qu'une flotte essayait d'atteindre nos terres, nous avons utilisé les Titans... Nous avons détruit tous les vaisseaux, systématiquement. Ils reposent tous au fond de l'eau désormais. »

J'avais pris ma décision. Je n'avais pas saisi la main qu'on m'avait tendue... Je pouvais voir le sang qui la recouvrait. Karl ne répondit pas. Il me fixa simplement dans les yeux, longuement. Je soutins son regard, essayant de ne pas me dévoiler tandis qu'il cherchait, j'en était sûre, à décoder ce qu'il lisait sur mon visage.

« Je vois, répondit-il finalement. Dommage... Vraiment dommage... »

Il remit mon bâillon en place, et rejoignit Viktor à l'écart du groupe, me laissant ainsi dans mon chaos émotionnel de peur, de douleur et chagrin. Combien de temps cela allait-il encore durer ?... Encore une fois, la solitude me pesait... Je m'étais pourtant promis de ne plus jamais rester seule... Mais encore une fois, j'avais échoué...

• • •

Viktor, le regard perdu dans l'horizon, porta sa cigarette à sa bouche.
« T'y es pas allé de main morte, hein ?... fit Karl qui s'approchait de lui.
- Pff... fit-il en soufflant sa fumée. Crois-moi, c'était absolument rien... Je lui ai juste un peu fait peur, c'est tout. J'aurais pu aller bien plus loin...
- Mais tu ne l'as pas fait... Tu n'es pas un tortionnaire, Viktor.
- Je le deviendrai, s'il le faut, répliqua-t-il sèchement. Ne me sous-estimes pas, Karl. Je n'ai pas tes scrupules hypocrites. Contrairement à toi, et à d'autres parmi nous, je sais ce que je fais ici, et pourquoi je le fais. J'ai fait une promesse avant de venir ici. Je la tiendrai. Et si pour cela je dois faire subir à ces démons les souffrances les plus atroces imaginables, c'est sans aucune pitié que je le ferai ! C'est notre devoir de les empêcher de continuer leur massacre !
- Je sais bien ce que tu penses. Mais ne laisse pas la rancœur te ronger jusqu'à te faire oublier ta mission... Nous devons ramener nos camarades chez nous. C'est la seule chose qui doit nous importer désormais.

- T'inquiètes pas, j'ai eu exactement ce que je voulais. Je dois dire qu'elle est plus coriace que ce que je pensais, mais en la poussant un peu dans ses retranchements, elle m'a donné elle-même ce que je voulais savoir... Une petite mais précieuse information. Le Titan... il est notre unique ennemi. Sur un échiquier, il est la reine et nous sommes des pions. Si on parvient à prédire ses actions, et à le piéger... Ce sera échec et mat pour lui. »

Il souffla de la fumée, plongé dans ses pensées. Il se tourna vers leur prisonnière, hors de portée de voix, et ajouta :

« Je ne sais pas exactement quelle est leur relation, à ces deux-là, mais une chose est sûre, pour qu'elle tienne plus à lui qu'à sa propre vie, même sous la menace de la lame... Ce ne sont pas de simples camarades d'armes... Ils doivent être extrêmement proches. Mais je m'en fous pas mal. Tout ce que je sais, c'est que ce lien providentiel nous est particulièrement favorable, et tu sais pourquoi...
- Ça fait d'elle un otage particulièrement précieux... répondit Karl.
- Ouais, exactement. On sait que sa vie comptera dans la balance quand l'heure de la confrontation aura sonné. Mais il y encore mieux... Peut-être qu'on arrivera pas à dénicher le Titan grâce à l'otage... Mais c'est lui qui viendra à nous. Parce que c'est elle qu'il cherche. J'en suis sûr maintenant. L'otage nous aidera à le capturer... Même contre son gré.
- En espérant que tout se déroule aussi bien que tu le pense... Rien n'est encore certain. Même en ce moment... On nage dans le flou.
- On a fait un pari, répliqua Viktor. On joue quitte ou double. On verra bien si on a eu raison. D'ailleurs... T'as pu en savoir plus ?
- Difficile à dire... hésita Karl. Elle n'a aucune confiance en nous. Et c'est trop tard pour essayer de la gagner. Les promesses, les paroles... Tout ça n'a aucune valeur sans confiance. Quand je lui ai promis de les épargner s'ils coopéraient, elle ne m'a pas cru...
- Tant pis alors, répondit Viktor en haussant les épaules. Il fallait essayer. On continuera à nager dans le flou jusqu'à ce qu'on se noie ou qu'on survive... »

Sa mâchoire se serra en repensant à cet objectif qui l'obsédait, et sur lequel étaient concentrées toutes ses pensées depuis la nuit dernière.

« Elle a refusé de coopérer, et elle ne changera pas d'avis. Cependant, il y a quelque chose... ajouta Karl non sans hésitation. Elle m'a assuré catégoriquement que tous les navires avaient été détruits. Bien sûr, si c'était le cas, cela mettrait toute notre stratégie en péril... Mais avant qu'elle réponde... Elle est restée anormalement silencieuse, un bref instant... Comme si... comme si elle hésitait.
-Tu es sûr de toi ? l'interrogea Viktor avec un regain d'intérêt. Si c'est bien vrai, cela ne peut signifier qu'une chose... Elle a compris nos intentions, et elle a menti pour nous induire en erreur. Pourquoi aurait-elle hésité si elle disait la vérité ? Mais qu'importe, après tout. Nous marcherons jusqu'à nous en ayons le cœur net. Karl, envoie le signal radio. Que la formation se mette en marche.
-Très bien, acquiesça Karl. Une dernière chose, Viktor. Ne le prends pas mal, mais... Même si nous retrouvons des navires intacts... Je ne pense pas que leurs équipages aient connus le même sort. »

Viktor se figea, et le regarda droit dans les yeux. Puis il répondit simplement :
« Je sais. »

Karl pressa plusieurs fois le bouton d'un boîtier qui produisit une série de sons stridents.

« Je sais que je ne reverrai jamais ceux que j'ai perdu, ajouta alors Viktor. Je ne suis pas venu ici pour ça. »

• • •

Alors que j'étais une fois de plus plongée dans mes pensées, on me poussa dans le dos pour m'intimer d'avancer. Surprise et déséquilibrée à cause de mes entraves, je basculai en avant et m'écrasai sur le sol, en sentant un élément dur s'enfoncer douloureusement dans mon épaule.

Les soldats passèrent à côté de moi sans me prêter attention, comme si j'étais invisible. Seul Paul, planté à quelques pas de moi, s'était interrompu dans sa marche. Il ne fit pas le moindre mouvement. Il m'observa simplement me relever avec le peu de dignité qu'il me restait, mais son regard me parut pour le moins... différent. Différent de tous ceux que l'on m'avait lancé ces derniers temps. Me voyant marcher à nouveau, il détourna alors le regard et me tourna le dos pour reprendre la marche, mine de rien.

Je me contorsionnai pour masser mon épaule endolorie. À travers le tissu de ma poche, je sentis la forme anguleuse qui m'avait blessée. En y glissant discrètement ma main, j'en extirpai des éclats de cristal. Je compris alors qu'ils provenaient du morceau de roche luminescente que j'avais emporté par précaution avant de partir en expédition. Elle avait dû se briser à un moment donné dans la violence de l'affrontement.
Ce n'était certainement la que de misérables cailloux aux yeux de celui qui m'avait fouillé... Mais en ce qui me concernait, je venais de trouver la lumière qui nous guiderait vers la délivrance... Tout du moins, c'est ce que j'espérais.

À l'abri des regards, j'en glissai une poignée dans la poche arrière de mon pantalon, en permanence à portée de main. Je laissai un des éclats tomber au sol, non sans adresser une supplication intérieure au seul qui pourrait l'entendre :
« Eren. Où que tu te trouves en ce moment... Je t'en prie... Aide-moi, encore une fois.... »