Chapitre XXIV : Vent

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J'étais à bout de forces. Ma respiration était haletante, et chaque inspiration enflammait mes poumons. Chaque muscle de mon corps se tendait douloureusement à chaque mouvement, semblant se déchirer sous l'effort. Au bord de l'évanouissement, ma vision se troublait et se trouait de taches noires. Je fis encore un pas, et me tordis la cheville. Je m'écroulai comme une masse, et restai ainsi au sol.

Non... Il fallait que je continue... Je tentai de me redresser, mais mes appuis étaient si faibles que je ne parvins qu'à me mettre à quatre pattes en tremblant. Je fus alors pris d'une quinte de toux horrible qui m'enflamma les voies respiratoires. Je crachai dans l'herbe un liquide épais, qui, même dans l'obscurité grandissante, me parut d'une trop inquiétante couleur sombre. Je savais parfaitement ce qu'il se passait. La transformation en Titan, le poignard dans le dos, les balles en plein cœur, les mains sectionnées, le combat dans la forêt... Sans repos, c'en était trop, beaucoup trop pour mon organisme. Je subissais le contrecoup du pouvoir de Titan de plein fouet. Il puisait dans mes dernières forces, vampirisant l'énergie vitale que j'avais précédemment sollicitée...

Haletant, je roulai sur le dos, immobile dans l'herbe fraîche, yeux clos. Le vent se levait. Je le sentais caresser mon visage, froid mais vivifiant. Malgré tout le pouvoir qui m'était conféré par le Titan Originel, restais-je encore trop faible pour remplir mon devoir ? Je pensai à Mikasa, à ce qu'elle m'avait dit, et mon cœur se serra. Je lui avait fait des promesses, je m'étais donné la mission d'être toujours là pour elle... L'écharpe autour de mon cou me le rappelait à chaque instant. Je le sentais au plus profond de moi, ce n'était pas là où elle devrait être, et mon but me semblait alors plus clair que jamais. Pourtant, j'avais beau être certain de ce que je devais faire, être prêt à tout, j'étais perdu. J'étais seul, je ne savais pas où aller, comment faire, comment être à la hauteur de ce qu'il me fallait faire... Je ne voulais pas échouer, pas cette fois, surtout pas maintenant... Des larmes me montèrent aux yeux en m'imaginant impuissant, trop faible pour empêcher le pire d'arriver, comme je l'avais si souvent été déjà.

Il fallait que je prenne sur moi. Puisque mon corps ne me laissait pas d'autre choix que de prendre une pause, je devrais essayer de reprendre mes esprits et réfléchir calmement. J'entrouvris les yeux et vis, au-dessus de moi, un ciel d'un noir d'encre, parsemé de minuscules étoiles scintillantes. D'ici, elles semblaient lointaines, tellement lointaines... Je regardai la voûte céleste, si calme, si inébranlable, qui entourait le monde entier, lui si petit, si insignifiant en comparaison. Elle l'englobait de tous côtés, à l'est, derrière l'océan dont les dernières lueurs rouges du soir s'étaient éteintes, à l'ouest, au-delà des vastes plaines de l'île... En me tordant le cou vers l'arrière, je pouvais apercevoir la ligne d'horizon du nord, à l'envers, loin derrière moi. Je remarquai alors un scintillement étrange, qui n'aurait pas dû pouvoir se trouver à cet endroit. Intrigué, je me retournai à l'endroit
pour pouvoir l'observer avec attention. En effet, il était semblable à celui d'une étoile, mais il ne provenait non pas du ciel, mais de la terre, comme si un des astres était tombé au sol. Cette lueur singulière, se détachant presque imperceptiblement dans la noirceur des plaines nocturnes, m'était étrangement familière... Mon cœur fit alors un bond, et je me redressai aussitôt, frappé par une idée soudaine. Cela se pouvait-il que ce soit... Je me mis debout, oubliant sans même m'en rendre compte l'épuisement qui me clouait au sol, et me précipitai vers un arbre isolé, celui le plus proche de moi. Je devais en avoir le cœur net...

Je grimpai en vitesse aux branches de l'arbre pour prendre de la vitesse. Depuis la cime, je regardai vers le sud, à la recherche de la même lueur. Elle était bien là, brillant du même éclat blême, en plein milieu de l'étendue d'herbe s'étalant sous mes yeux. Mais je distinguais alors, plus loin encore vers l'horizon, d'autres lueurs identiques, d'abord parfaitement alignées le long de la côte, puis bifurquant perpendiculairement à la mer, droit vers l'intérieur des terres. M'apparaissait ainsi un chemin lumineux, signe discret mais évident qui m'était adressé en silence. Je sortis de ma poche une petite roche phosphorescente, qui, plongée dans les ténèbres, s'était mise à émettre la même lumière blanchâtre. Mon cœur battait plus fort dans ma poitrine. J'avais donc enfin l'indice dont j'avais tant besoin... J'esquissai un sourire en ramenant l'écharpe sur mon nez. Alors même que nous étions séparés, je pouvais sentir sa présence. Elle n'était pas là à mes côtés, mais elle avait tout de même trouvé une manière de m'apporter son aide pour me tirer d'affaire, comme toujours.

Je descendis de l'arbre, à nouveau plein d'espoir. La route était toute tracée. Je n'avais qu'à la suivre. Je pris une grande inspiration, réajustai l'écharpe autour de mon cou, et concentrai toutes mes pensées sur mon objectif. Et je me remis à courir, ignorant la douleur qui fusait à nouveau à travers mes muscles et mes poumons. Ma détermination ne faillirait pas. Je gardais mon regard fixé vers l'horizon, là où j'avais vu briller le dernier éclat phosphorescent. Selon le tracé formé par les éclats de roche phosphorescente, les Mahrs avaient changé de cap à un certain moment, pour une raison ou pour une autre, abandonnant la côte pour s'enfoncer vers l'intérieur de l'île. Plutôt que de suivre la même route, je pouvais donc couper en diagonale et aller droit vers la dernière position connue du groupe Mahr. Avec un peu de chance... Ce gain de temps me permettrai de rattraper mon retard considérable... À cette pensée, j'accélérai un peu plus mon allure. C'était une occasion inespérée qui m'était offerte... Je ne devais pas laisser passer ma chance.

Peu à peu, alors que je faisais appel à toute la volonté dont j'étais capable pour ne pas m'arrêter dans ma course et céder à la souffrance que mon corps m'infligeait, celle-ci commença a refluer, me laissant accélérer encore mon allure. La douleur était toujours là, je la sentais, mais elle me semblait désormais comme... lointaine, engourdie. C'était une sensation étrange. Je ne devrais pas pouvoir encore courir aussi vite après tout ça. Je devrais avoir mal, m'écrouler au sol, mais au lieu de ça, je sentais que je pouvais continuer, dépasser mes limites, comme si j'étais mû par une énergie venue de nulle part. Peut-être était-ce encore dû à mon pouvoir de Titan... Je voyais de la vapeur s'élever devant mes yeux, mais ce n'était sûrement que mon souffle se condensant dans l'air extérieur glacé.

Mais tout ce qui comptait, c'était que j'étais en route. Je tiendrais mes promesses. J'avais tout ce dont j'avais besoin pour cela. Rien d'autre n'avait d'importance.

• • •

Viktor ne dormait pas. Il était couché, immobile, les yeux fermés, mais il restait en alerte. Peut-être avait-il besoin de repos avant le combat qu'il s'apprêtait à livrer, mais, comme toujours avant ce genre de moments, il ne pouvait s'abandonner au sommeil. Il n'aurait pas pu s'il l'avait voulu. Il savait que l'ennemi était là, quelque part à l'extérieur, peut-être loin, trop loin pour pouvoir jamais les rattraper, mais peut-être bien juste là, tout près, les épiant déjà dans les ténèbres. Karl était certain d'être hors de danger, mais, en ce qui le concernait, Viktor n'était pas aussi confiant qu'il aurait aimé pouvoir l'être.

Alors il écoutait. Juste à côté de lui était posée la radio, reliée à toutes les troupes de détection postées aux alentours. Elles étaient ses yeux et ses oreilles en-dehors de la forêt, guettant le moindre signe de danger pour en avertir le reste de la formation. Pour l'instant cependant, la radio était restée parfaitement silencieuse. Tout ce qu'il entendait était les bruits de bêtes nocturnes, hululant et s'agitant dans les arbres, celui des feuilles, bruissant au vent qui se levait, ainsi que les conversations indiscrètes de ses hommes, celles qui n'étaient pas censées parvenir à ses oreilles... Il gardait ces dernières dans un coin de sa tête. Chaque information pouvait avoir son importance, le moment venu.

Soudain, alors que Viktor était profondément plongé dans ses pensées, la radio émit enfin le grésillement caractéristique qu'il avait tant redouté.

Un amour à contretemps - EremikaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant