Chapitre XXII : Mensonges

995 53 20
                                    

Il s'approcha de la berge, jusqu'à ce que les vagues puissent presque effleurer ses pieds. Ses bottes s'enfonçaient légèrement dans le sol meuble. Au loin, la colonne de fumée noire du navire déchirait le ciel pâle matinal, tandis qu'elle s'éloignait vers l'horizon. Aucune trace sur le sol n'indiquait de récent passage. Aucun autre bruit que celui des vagues n'était audible. Rien. Pourtant, il y avait quelque chose. Il le savait. Il le sentait. Là où la berge s'avançait le plus vers la mer, là par où il avait lui-même échoué quelques heures plus tôt, entre les cailloux qui jonchaient le sable, il trouva enfin un morceau de tissu à la couleur verte familière, enroulé sur lui-même. Il le serra précieusement dans son poing, comme pour qu'il ne s'échappe pas. Ils avaient donc bien débarqué... Il pouvait poursuivre sa quête.

• • •

Nous marchions encore. J'observais la course du soleil dans le ciel, seul moyen pour moi de garder la notion du temps. Il n'apparaissait même pas à l'horizon lorsque nous nous étions mis en marche, et il était désormais au plus haut dans le ciel. Nous longions la mer inlassablement, dans la même direction depuis des heures. Visiblement, ils savaient ce qu'ils cherchaient, mais ne savaient pas où le trouver... Je prenais mon mal en patience tant bien que mal, tentant vainement de refouler les doutes qui m'assaillaient sans cesse.

Régulièrement, je voyais Karl communiquer grâce à une technologie qui m'était complètement inconnue. Chaque message transmis m'était totalement indéchiffrable, mais je devinai qu'il devait diriger la formation de cette manière. Tout cela me rappelait étrangement nos propres formations de détection contre les Titans... Cependant, sans nos fumigènes indiscrets, impossible pour Eren de savoir où nous étions. Alors, régulièrement, je répétai le même geste. Tous ces morceaux de roche phosphorescente que je déposai formaient une route invisible, qui, je l'espérais, lui montrerait le chemin le moment venu. Pour le reste, je m'en remettais à lui. Je ne pouvais qu'avoir confiance en lui et espérer qu'il sache mieux que moi comment agir... Où se trouvait-il à l'heure qu'il était ? Avait-il déjà trouvé mon premier indice ? Je l'espérais, car le temps jouait contre nous...

M'arrachant à ses pensées, je découvris que les soldats marchant devant moi s'arrêtaient un à un, tandis qu'un murmure stupéfait parcourait le groupe. Que se passait-il ? Je m'approchai lentement entre les soldats, et trouvai Viktor se tenant seul devant le groupe. Devant lui, une crevasse béante déchirait le sol tout en longueur, s'étirant de la mer jusqu'à perte de vue du côté opposé. On aurait dit qu'une griffe gigantesque avait labouré la terre en profondeur sur plusieurs kilomètres. Mais je savais ce que c'était en réalité... Et ce n'était pas bon. Pas une seule seconde je n'avais pensé à ce détail, et pourtant cette preuve évidente pourrait trahir la vérité sur ce que j'avais essayé de cacher aux Mahrs depuis le début. S'ils comprenaient ce qu'ils voyaient, nous courrions à notre perte...

« Ainsi donc nous avions vu juste, murmura Viktor avant de se retourner vers le groupe. Vous ne savez peut-être pas d'où vient cet étrange sillon gravé dans le sol, mais c'est très probablement la meilleure preuve que nous n'avons pas cherché en vain. Et croyez-moi, si ce que nous cherchons est quelque part, nous trouverons où. En réalité, ce sillon n'est autre que celui d'un navire, traîné hors de la mer sur le sol par la force d'un titan. Il faut croire qu'ils n'ont pas tous été envoyés par le fond... Et je mettrais ma main à couper que celui-ci n'est pas le seul, et que nous trouverions d'autres traces identiques le long du rivage. Mais toutes doivent mener au même endroit, et là-bas... on trouvera ces navires, avec le carburant qu'ils contiennent, et on le ramènera au destroyer. Tout ce dont nous avons besoin pour nous arracher de cette île se trouve là-bas. »

Voilà qui confirmait toutes mes craintes... Non seulement ils n'avaient pas été dupés par mes mensonges, mais depuis le début ils avaient deviné que des navires avaient été conservés et transportés en lieu sûr. Ils avaient fait le pari que les navires et le carburant qu'ils contenaient existaient toujours, et ils l'avaient gagné...

« Quant à la position de l'endroit en question, poursuivit-il, nous n'allons pas tarder à le découvrir. Karl, informe la formation. Virage à quatre-vingt dix degrés, on longe le sillon. La victoire est à portée de main... »

Alors que j'étais sur le point de suivre la direction de la marche galvanisée du groupe, Viktor m'agrippa par la capuche et me retint en arrière.

« Tu as menti, souffla-t-il. T'as fait ça pour nous empêcher d'atteindre notre but, j'imagine. Tu es peut-être plus intelligente que tu en as l'air, mais malheureusement pour toi, ça n'a servi à rien. Tu n'aurais pas dû négliger notre proposition. Quoique... En même temps, ça m'évitera d'avoir à trahir ma parole. »

Il eut un petit rire forcé dénotant avec la réelle dureté de ses propos. Malgré tout, cela ne me surprenait guère qu'il n'ait jamais eu l'intention de tenir parole. J'avais trouvé plus qu'étrange qu'il accepte de renoncer à s'emparer de l'Axe.

« Dans tous les cas, nous aurons bientôt ce que nous voulons. Nous pourrons alors quitter cette maudite île, et avec nous, le pouvoir du Titan Originel. J'ai tout prévu... Vous ne pouvez plus rien faire pour nous arrêter désormais. Et, au fait... Je te l'avais promis. Dans quelques heures, tu recevras enfin ce que tu mérites. Savoure-les bien... si tu vois ce que je veux dire. »

Un petit rictus mauvais flotta un instant sur son visage, qui retourna immédiatement à impassibilité habituelle. Enfin, il me relâcha. Je n'avais jamais compté sur leur pitié, mais le sort que les Mahrs me réservaient me faisait froid dans le dos... Mais ce qui m'inquiétait encore plus, c'était le moment où ils allaient tenter de s'en prendre à Eren... Car ils allaient le faire, j'en étais absolument certaine maintenant. Nous nous dirigions tous vers le même endroit, vers l'avant-poste où ce qu'ils cherchaient reposait. Je le sentais, ce n'était qu'une question de temps avant que nous confrontions à nouveau. Mais lorsque ce temps sera écoulé, il nous faudra réagir... Nous n'aurons pas le droit à l'erreur.

Un amour à contretemps - EremikaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant