Chapitre 2

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— Monsieur, une lettre vient d'arriver pour vous.
— Merci, vous pouvez disposer.

Weatherby Swann prit la lettre que lui tendait le Majordome, et observa l'enveloppe. Loin d'être raffinée, elle était même tachée, et cornée. Elle avait sans doute fait un long voyage dans une malle-poste et devait être soulagée d'être arrivée...

— Oh, Seigneur ! Elizabeth ! s'exclama alors le Gouverneur en décachetant la lettre. 

"Cher Papa, j'ai quitté Londres il y a un mois, à bord du navire de Jack Sparrow, nous sommes arrivés à Nassau depuis une semaine, et c'était la pleine lune. J'ignore quand cette lettre va vous parvenir, mais je voulais vous dire que je vais bien. Je ne sais pas si vous êtes au courant de l'aventure rocambolesque dont j'ai été victime, si oui, ne vous en faites pas, tout est rentré dans l'ordre. Si non, je serais enchantée de venir à Port-Royal pour vous la raconter, mais cela ne pourra pas se faire tout de suite. Il se passe des choses chez les pirates, des choses pas trop drôles, en ce moment, et il est dangereux pour une femme de voyager, même entourée de matelots pour la protéger. Je vous enverrais une autre lettre pour vous prévenir quand les choses se seront arrangées. Selon Jack, ce n'est qu'une mutinerie un peu plus importante que les autres, cela ne devrait pas atteindre Port-Royal ou les autres îles des environs. J'aurais encore beaucoup à vous dire, Papa, mais je n'ai pas beaucoup de temps pour moi en ce moment. Jack m'a mise au travail, ici à Nassau, pour m'occuper, et je couds des robes pour les maisons closes de l'île. C'est un travail honnête qui paie très bien. Je vous aime, Papa, même après que vous m'ayez isolée dans le pire endroit du monde. À bientôt. Lizzie. "

Le Gouverneur Swann soupira. Il n'avait pas répondu à la lettre de rançon concernant sa fille. Il avait plutôt contacté la Sœur-Mère du Couvent où elle était censée se trouver, et quand la vieille femme et lui avaient compris le coup monté dont ils avaient été victime, la supercherie avait été découverte. Il était très soulagé de savoir que sa fille allait bien, à présent, quand bien même elle était sur une île infestée de pirates, contrainte à coudre des vêtements pour des prostituées afin de gagner un peu d'argent.

— Si James savait ça, il deviendrait dingue... souffla l'homme en secouant la tête.

Il replia la lettre et la glissa dans un tiroir de son bureau en soupirant. Il regarda ensuite par la fenêtre et son regard se posa sur le nouveau bateau du Commodore Norrigton, qui lui avait été offert en cadeau de noces.
On toqua soudain contre la porte et le Gouverneur fit entrer. Une dépêche s'approcha vivement et lui tendit une liasse de documents ainsi que plusieurs journaux en provenance de l'Angleterre. Le jeune homme repartit aussitôt et Swann regarda les papiers devant lui.
Tous les mois, il recevait un exemplaire du Journal Royal de Londres, une sorte de condensé de tous les journaux que comptait la ville anglaise, ainsi que des sacs entiers de courrier personnel à faire distribuer aux habitants de Port-Royal. Il recevait aussi des ordres, des contre-ordres, des missives, des annonces, et plein d'autres joyeusetés dans le genre. Trier et classer tout ça lui prenait en général deux à trois jours quand il n'y avait rien de plus urgent à faire avant...

.

— Sparrow !

Elizabeth sursauta. Elle quitta des yeux sa machine à coudre à pédale et regarda la femme qui l'avait si brutalement interpellée.

— Je ne suis pas une Sparrow, Madame, faut que je le dise en quelle langue ?
— M'en fiche ! T'es pas plus futée qu'eux de toute façon alors...
— C'est à ma fille que tu parles de cette manière, Matronne ?

La femme rentra le menton et pivota. Elle recula d'un pas en se retrouvant nez à nez avec le Capitaine Teague, le père de Jack...

— Je suis désolée, Monsieur, je savais pas que vous étiez-là, je...
— C'est la fiancée de mon fils, ce n'est pas une Sparrow, pas encore, mais ça ne t'autorise pas à lui parler sur ce ton, gronda Edward Teague.

Son grand chapeau et son visage grêlé par la petite vérole lui donnaient un air impressionnant et la vieille Madame ne semblait avoir qu'une envie, filer.

— Du vent, dit alors Teague.

La femme ne se fit pas prier. Elle fila, non sans lancer un regard à Elizabeth, qui soupira.

— Merci, elle commençait à me fatiguer...
— Tu devrais apprendre à répondre, ma fille, dit alors Teague. J'entends pas mal parler de toi depuis que vous êtes arrivés, tu sais ?
— Oui... Moi aussi j'entends les gens parler... soupira Elizabeth. Ce n'est jamais sympathique de s'entendre dire qu'on est la nouvelle putain du Capitaine Bouteille de Rhum...

Teague grimaça.

— Allez, dit-il alors en se détournant. Viens, tu as assez travaillé pour aujourd'hui.
— Je dois finir cette jupe...
— Madame(1) ne te fera aucun reproche, ne t'en fais pas.

Elizabeth hésita. La Matrone était très pénible avec sa nouvelle couturière, quand bien même la jeune femme faisait de son mieux pour fournir une robe, certes simple, tous les deux jours, mieux si elle pouvait. Heureusement, les filles n'avaient pas de demandes particulières pour leurs robes, sinon qu'elles soient faciles à dénouer et à renouer, de sorte qu'elles puissent se rhabiller seules entre deux clients.

Avec un soupir, Elizabeth décida de suivre Teague. Étrangement, de tous les pirates de Nassau, il était bien l'un des rares, hormis Jack et son équipage, auquel elle pouvait faire confiance, même si, sans doute s'il en avait la possibilité, il n'hésiterait pas à la vendre au plus offrant... quitte à risquer les foudres de son fiston.

.

— Encore un ?
— Non, merci, Capitaine... Ça ira.
— Sûre ? Bon, ben il sera pour moi alors !

Teague vida la bouteille de vin dans son verre et Elizabeth soupira. Elle posa son menton dans sa main et Teague la regarda un moment. Soudain, il se racla la gorge et la jeune femme esquissa un sourire en le regardant.

— Dites-moi, Lizzie... dit le pirate. Est-ce que mon fils et vous... ?
— Non, soupira Elizabeth en se redressant. Je n'ai pas quitté le Commodore pour me jeter dans les bras de Jack comme une prostituée. Je voulais être libre, avant.
— Je vois... Je ne connais pas toute l'histoire qui vous a amenée sur le navire de mon fiston, mais entre nous, je pense que vous avez très bien fait de quitter le Commodore pour lui.
— Ah oui ? Et pourquoi donc ? Après tout, Jack n'est qu'un pirate qui aime boire et pirater...
— Oui, comme son père, répondit Teague en souriant. Mais Jack est un garçon bien élevé malgré les apparences, et même s'il s'est retrouvé livré à lui-même très tôt, je crois pouvoir dire qu'il ne vous fera jamais souffrir, ma petite.

Elizabeth fit la moue.

— Tous les hommes finissent par faire souffrir leur femme, dit-elle. Le Commodore m'avait dit la même chose après notre mariage, et au final, il exigeait de moi que je le satisfasse même lorsque je n'en avais pas envie... Il s'invitait dans mon lit, que je sois malade, indisposée, ou simplement non désireuse.
— Jack n'est pas comme ça.
— Ils sont tous comme ça...

Teague serra les mâchoires. Apparemment, la jeune femme qu'il avait devant lui avait un peu souffert de son mariage avec le Commodore anglais, dont il soupçonnait que c'était le premier homme qu'elle connût. Il décida, en bon père, d'en parler avec Jack le plus tôt possible, car déjà, des rumeurs du prochain départ du Black Pearl se faisaient entendre dans les rues de Nassau...

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(1) "Madame" dans ce contexte, n'est en aucun cas une marque de respect. C'est la patronne des lupanars, des bordels, et pour la différencier des prostituées, elle est appelée "Madame", mais c'est une ancienne prostituée qui a réussi à économiser suffisamment d'argent pour racheter le bordel à la "Madame" précédente.

⏳ Capitaine E. SparrowOù les histoires vivent. Découvrez maintenant