J'entends la porte qui grince et suis interrompue dans mon rêve (un beau gosse musclé qui m'étalait de la crème solaire) et ouvre des yeux suspicieux. On saute sur mon lit et je reconnais la le comportement de mon frère, Mateo.
-Salut, p'tit monstre.
Il me tend mon petit dejeuner, avant de me faire un bisou, et je lui ébouriffe les cheveux. Mon petit frère a la même couleur de peau foncée que moi, mais ses yeux sont bleu, presque aussi éclatant que ceux de mon père, ce qui m'a rendue jalouse pendant des années. Il n'a que sept ans et ne se rend pas compte de sa beauté, mais moi je sais qu'il brisera des coeurs. Je croque dans la pomme a pleines dents pour lui faire plaisir, car je n'ai absolument pas faim.
-Regarde, tu as reçu un bouquet et des cadeaux, fit-il en montrant du doigt la table, près de la chaise au fond de la chambre.
-Je te les donne, si tu veux, lui dis-je en tendant l'oreille.
J'entends les docteurs se rapprocher et reconnaît le bruit des bottes sur le carrelage. Il y a aussi des officiers. Deux docteurs ainsi que l'officier Brag et mon père entrent dans ma chambre et se place en rond autour de mon lit. Mateo se lève, mais tient a rester près de moi.
-Compte tenu de votre bon état physique et mental, nous vous laissons partir aujourd'hui, annonce le premier docteur. Mais il nous faudra bien sûr un suivi médical, ainsi que psychiatrique. Nous avons déjà tout mis en place.
-Je dispose déjà d'un suivi psychiatrique, le coupais-je en le toisant.
Le médecin marque une pause, soupire, puis reprend :
-Nous sommes au courant maintenant. Vous bénéficiez d'un repos d'une semaine avant de retourner en cours, mais vous êtes priée de vous rendre au commissariat dans trois jours exactement, ajoute le deuxième. J'ai déjà tout expliqué a vos parents.
Mon père croise les bras, et Sam observe ma réaction, ainsi que le bouquet de fleurs, derrière lui. Les docteurs s'entretiennent encore avec mon père pendant un bref instant, puis nous saluent et repartent dans le couloir. Quelques temps après, le docteur s'approche et retire mon écharpe avec précaution, avant de me donner toute sortes d'ordres que j'écoute à moitié. La moitié du groupe quitte la pièce. Avec un soupir de satisfaction, je me lève précipitamment et manque de faire tomber Mateo, qui me regarde faire mon sac avec empressement. Je décide d'ignorer leurs regards et file dans la salle de bain enfiler un jean propre, un t shirt et ma veste en cuir. Je chausse mes bottines et fourre mon petit déjeuner dans mon sac, sans un mot. Quand je rejoins le couloir, je retrouve ma mère, assise, fixant le sol et je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Je fixe mon bonnet noir sur mon crâne, avant de déclarer;
-On y va, je lui lance en lui montrant la sortie.
Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais la referme aussitot et nous nous dirigeons vers la sortie après avoir signé quelques papiers. Je fais un gros calin a mon frère, mais n'arrive pas a regarder mon père dans les yeux, trop énervée. Ce n'est pas grave, je pense. Il sait parfaitement que mon humeur changera bientôt, il m'appellera sans doute ce soir. Je grimpe dans la toyota rouge de ma mère et m'installe derrière, avant de mettre mes écouteurs. Je regarde le paysage défiler pendant une bonne dizaine de minutes en appréciant de retrouver mes écouteurs et mes playlists. Est-ce que les gens se comporteront différemment avec moi ? Je pense que oui, malheureusement. Ils ne sauront rien de ce que j'ai fais, mais il sauront que j'étais dans ce restaurant sur Paris, le jour de la fusillade. A la seule pensée du regard des autres sur moi, mon ventre se noue. Je suis plus que prête a les affronter, et a retourner en cours, mais je ne veux pas que l'on me regarde avec pitié.
J'étais déjà habituée à cela depuis des années, avec ma mère.
J'observe le paysage bouger lentement au dehors. Les températures commencent a redevenir assez bonnes pour mettre une veste, même si tout le monde me dit que je ne me couvre pas assez. L'hiver touche a sa fin et les visages se défroissent, même si le mien reste aussi froid que toujours. Je jette un coup d'oeil vers devant et remarque que ma mère parle, et retire un écouteur, ennuyée.
-Hein ?
-Je disais que je suis ta mère, et que je suis très inquiète pour toi. Mais tu agis comme si tu ne me voyais pas, ou que tu essaies incéssement de me repousser.
-Oui, je te repousses, exactement comme toi tu as fais avec moi pendant des années. Il fallait y penser avant, je lui dis sèchement en mettant fin a la conversation.
Dix minutes plus tard, nous arrivons a l'appartement et je monte les escaliers sans un mot; je n'ai aucune envie d'être ici. Ma mère ouvre la porte, contrariée et je soupire; je sais que quand elle est contrariée, elle est sèche et distante, et j'ai vécu cela toute mon enfance, je n'ai plus le temps pour elle. Je la dépasse dans l'entrée et pars m'enfermer dans ma chambre, ou je jette mon sac sur le lit. Je m'y asseois et déballe mes affaires, puis déplie l'ordonnance du docteur; encore des anxiolytiques et d'autres choses. Ici, ma chambre a des couleurs claires et des meubles noirs, tandis que chez mon père, les murs sont foncés et tous mes meubles sont blancs.Je froisse le papier et le jette a terre, avant de vérifier tous mes messages et mes notifications. J'ai plus d'une dizaine de messages de personnes qui s'inquiètent pour moi, notamment des amis des réseaux sociaux? Je prends le soin de répondre a chacun d'eux et file dans la douche, ou je m'efforce de garder les yeux ouverts, pour être sûre de ne voir personne sous mes paupières. Le mélange de mes médicaments ne fait pas un bon effet, et je mets du temps a me rendre compte que je suis secouée de soubresauts, mais il est trop tard. Je vomis et regarde la bile être balayée par l'eau et s'écouler dans les canalisations. Je me rince la bouche pour enlever le goût immonde qui a envahit mes papilles et sort de la baignoire sans prendre de serviettes, ce qui met de l'eau partout par terre.
-Cette foutue salle de bain est trop petite, je rale en me cognant le coude en tentant d'attacher mon soutien gorge.
Je m'habille et me dirige ensuite vers le salon, et je sens la colère monter en voyant que ma mère mange dejà; elle ne m'a pas attendue et ne m'a rien préparé. Je retourne dans ma chambre et saisis le papier de l'officier, puis prend ma carte de bus et retourne vers le salon.
-Je sors, lui dis-je en enroulant mon écharpe autour du cou.
-D'accord. As-tu pris tes régulateurs d'humeur ? Me demande-t-elle en se redressant.
Je soupire , hors de moi. Quand est-ce qu'elle comprendra enfin ?
-Ces médicaments sont appelés psychotropes et anti-dépresseurs, appelles-les par leur nom, je lui lance avant de quitter la pièce.
Je réussis a avoir le trajet grâce a une application de mon téléphone et me débrouille pour avoir mon bus directement. Le trajet est plutôt long ; il exige trois changements de bus et dure pratiquement une heure. Je marche pendant dix minutes et vois enfin le commissariat au bout de la rue. Ce n'est pas un petit commissariat de banlieue, mais un vrai bâtiment, avec des baies vitrées et de grands bureaux à l'étage.
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Roses
ActionRose, une étudiante addict et hargneuse est dans le coma. Elle va devoir lutter contre elle-même pour que son âme cesse de vagabonder dans l'obscurité. Tout ce dont elle se rappelle : la souffrance et des coups de feu. #1 santé mentale le 9/08/2019...