Funeral

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-Je suis désolée, bichette.

Je déglutis, mal à l'aise. Je vois que les autres amies de ma mère n'ont pas osé bouger et observent toutes ma réaction.

-Merci, dis-je en gardant la tête haute.

-Tu es vraiment magnifique dans cette combinaison, ment-elle en me regardant de haut en bas.

Elle esquisse un sourire, mais je vois que la joie n'atteint pas ses yeux et me demande s'il lui arrive souvent de mentir ainsi, ou si l'enterrement donne simplement une occasion aux gens de mentir sur ce qu'ils ressentent. Lauraine ne s'était jamais occupée de Lily. Elle ne lui avait jamais lu d'histoire. Ou changé une seule couche.

Les autres amies viennent vers moi et me saluent une à une. Je jette un regard à ma mère, mais je ne vois que ses longs cheveux châtains ondulés. Elle est de dos. Regardant le meuble où se trouvent toutes les photos. Je sais qu'elle pleure.

-Bon, allons-y, sort Maria, une des autres amies.

Je suis leur petit groupe et monte dans la même voiture que ma mère à contre coeur. Le chemin me semble interminable et je manque de me retourner pour ordonner au groupe de mégères de se taire. Elles ne font que parler de leurs maris, de leurs enfants. Des nouveaux venus en ville. Quelle triste vie. Si Dieu existe, je veux qu'il me garde de ressembler à ma mère un jour. Au bout d'une heure -horrible- nous arrivons au cimetière. Malgré l'automne, il fait encore étonnamment bon et le ciel est d'un joli bleu, bien éclairé par le soleil de midi.

 J'arrive et salue quelques personnes, complètement vidée. Mon regard s'illumine lorsque j'aperçois Mateo courir vers moi. Il me saute dessus et je l'attrape pour le porter à ma hauteur, puis le laisse me faire un câlin. Il s'écarte enfin et me regarde de ses yeux bleus ;

-On t'a attendu longtemps.

-Je sais, p'tit monstre.

Mateo ne semble pas tant affecté que cela par la mort de sa grande sœur. Il est encore très petit, après tout.

-Te voilà, fait une voix dans mon dos.

Je me retourne et aperçois mon père, qui pose sa main sur mon épaule. Alors une vague d'émotions me submerge et je prend conscience que je suis sur le point de voir le cercueil contenant le petit corps de ma sœur aller sous terre et y rester pour l'éternité. Par chance, les fleurs qu'on y laissera ne seront pas balayées par le vent.

Mon père voit que quelque chose ne va pas et envoie Mateo saluer des personnes de la famille. Finalement, lorsqu'il s'approche de moi, je fonds en larme et une douleur perçante éclate dans ma poitrine. Je me sens vide. Et cela fait mal.

-Ma petite fleur, chuchote-t-il en me prenant dans ses bras.

Depuis que je suis toute petite, mon père m'appelle de cette façon à cause de mon prénom. Cela m'a toujours rassuré.

Je m'écarte et essuie mes larmes, puis lui assure que je peux marcher seule, et il m'abandonne pour aller à la cérémonie. Je le suis quelques mètres plus loin en me remémorant mon premier enterrement. J'avais seize ans et n'avais pas pleuré une seule larme. Les personnes qui étaient passées chacune leur tour faire leur discours ne racontaient que des mensonges empilés sur des vérités embellies... Ce n'est que lors de votre enterrement que vous devenez un héros pour tout le monde. C'était mon oncle qui s'était suicidé. J'ai toujours été persuadée que son fantôme était là, avec nous, regardant son cercueil luxueux, écoutant les discours erronés. Lorsque sa cousine avait dit « nous n'avons rien vu venir », je suis persuadée qu'il s'est mis à crier sur tout le monde que ce n'était pas vrai, qu'il souffrait et que tout le monde le voyait mais tout le monde fermait les yeux ; c'était différent. J'avais imaginé son fantôme haineux, jetant tout ce qu'il pouvait trouver sur nous. Je n'avais pas pleuré car je n'avais pas été surprise ; je voyais depuis longtemps que quelque chose n'allait pas. De plus, nous n'étions pas vraiment proches ; il était difficile à cerner.

-Reviens sur terre, me dit une voix féminine.

Je me tourne pour rencontrer le regard noisette de ma mère. Elle a les sourcils froncés mais des larmes ont coulées sur ses joues. Je reprend peu à peu conscience et remarque que tout le monde est réuni autour du cercueil. Il y a énormément de personnes présentes et la mélancolie et la tristesse pèse sur l'endroit. Une brise fraîche fait voleter quelques pétales et s'arracher des feuilles orangées des arbres.

-Tu souhaites dire un mot ? Me demande ma mère.

Les personnes chargées de l'enterrement récitent une prière et rendent hommage aux autres victime de l'attentat. Je prends une grande respiration. Comment pourrais-je avoir cette force ?

Sans réfléchir, je m'avance et l'homme écourte son discours. Il me laisse prendre place et une bourrasque fait voleter mes cheveux rouges ; comme si la nature approuvait mon geste.

-Ce qui est arrivé était horrible, je commence en m'appuyant sur le pupitre.

J'entends un sanglot au loin.

-Lily était une petite fille merveilleuse, très intelligente et très en avance sur les autres de son âge. Elle n'arrêtait pas de me demander de lire des encyclopédies avec elle, j'ajoute avec un demi-sourire. Bien sûr que je ne l'oublierais jamais, mais mon lien avec elle est plus fort encore ; je suis la dernière a l'avoir vu, j'étais là. Elle vivra encore et toujours, là-dedans, je conclus en montrant ma poitrine du doigt.

Je m'éloigne du pupitre en pleurant et pars rejoindre mon père, qui lutte pour ne pas s'effondrer. Mateo me prend la main pendant qu'une femme que je ne connais pas prend la parole et partage des moments drôles et des blagues que Lily adorait. Lorsqu'il est temps de placer le cercueil dans la tombe, nous nous approchons tous les quatre, ayant tous les invités dans le dos. Nous regardons tous l'objet en bois descendre lentement dans le trou rectangulaire et une flamme de rage s'allume dans mon ventre. Mon frère jette une poignée de sable et son jouet préféré, mes parents jettent chacun une lettre et j'y jette trois roses rouges. Je fais demi tour et m'éloigne de la foule pour prendre l'air. Sans savoir pourquoi, mes pensées divaguent et je me retrouvent à penser à James. C'était vraiment un personnage étrange. J'aurais apprécier qu'il soit ici en ce moment. Même entouré de tous les autres, je me sentais plus seule que jamais.

RosesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant