Quinze minutes plus tard, j'hésite à entrer dans l'amphithéâtre, m'imaginant plus de cent paire d'yeux tournés vers moi, me scrutant et me jugeant.
-Tu hésites ? Me dit Alex.
Je soupire, au bord de la crise d'angoisse.
Alex voit que quelque chose ne va pas et m'emenne dans un coin tranquille.
Il plante son regard brun clair dans le mien.
-Rose, cela fait des lustres que l'on ne s'est pas parlés. Que se passe-t-il ?
Alors je lui explique tout. Alena qui a parlé aux médias sans mon accord. Moi qui regrette de ne pas avoir protégé Lily. Les policiers qui suivent mes moindres mouvements. Je n'ai personne à qui parler.
Mon récit dure vingt bonnes minutes et Alex reste de marbre, m'écoutant d'une oreille attentive.
-Alena, Alena. Cette salope ! Je ne l'ai jamais senti, je te l'ai toujours dis !
C'était vrai.
Il soupire.
-Au vu de ce que tu m'as dis, c'était une très mauvaise idée de venir ici. Tu ne peux pas simplement reprendre ta vie ici, Rose. Fais une pause avec les études. Les premiers partiels sont passés, tu les as réussis, alors accordes-toi une pause, d'accord ? Tentes de comprendre certaines choses, remets-toi à l'écriture, renoues avec des amis.
Sa dernière remarque m'arrache un sourire.
-En plus, ce sera une vraie torture ;tout le monde sait ce qu'il s'est passé ce soir-là, et pour ta petite sœur. D'ailleurs, j'en suis désolée, dit-il en posant une main rassurante sur mon épaule.
Je fais quand même un tour rapide de la fac et salue quelques personnes. Une phrase que j'avais lu dans un livre résonne dans ma tête; «J'aurais voulu une vie douce et sereine; elle s'est imposée à moi fragile et puissante.» Je croise un autre groupe qui me dévisage et chuchote quelque chose que je tente d'ignorer. Alex m'attire vers lui et commence à me raconter sa vie pour me remonter le moral, mais je ne l'écoute pas. Quand est-ce que je pourrais revenir ici ? Le pourrais-je un jour ? Je tente de réprimer une crise. Mes mains tremblent et j'ai envie de tout casser. Mes côtes se remettent à me démanger, ainsi que mon crâne. Je suis obligée de m'écarter pour rester seule quelques temps. Je vais aux toilettes et me mets de l'eau sur le visage, puis sur le cou et j'attends que ma température baisse légèrement, avant de rejoindre Alex, qui m'attend avec une bouteille d'eau fraîche : il est habitué à mes crises.
-Merci, je lui dis en dévissant le bouchon.
Il hoche la tête pour me dire de rien et m'escorte jusqu'à la sortie.
-Ca va aller ? Je peux te raccompagner chez toi, j'ai...
-Non, je vais très bien, ne t'inquiètes pas, je le coupe.
Il soupire, puis me sourit avec un air complice ;
-Cela me rappelle une de tes phrases dans tes écris ; « Je ne peux pas respirer, mais je me sens assez bien ».
Je souris ;
-C'est vrai, je fais en rigolant.
Sur un ton plus sérieux, il hausse les épaules et fourre les mains dans ses poches.
-Alex ! Qu'est-ce que je t'ai dis ? Ne me regarde pas comme ça, je lui dis en tapant du pied.
Il me montre le chemin et commence à me raccompagner vers la sortie.
-Comment tu te sens, je veux dire vraiment ? Tu dois te sentir très seule, j'en suis désolé.
-Ce n'est pas juste se sentir seule... C'est la solitude et l'isolement. Et la plupart des personnes ici... La plupart des personnes que l'on connaît ? Ils ne connaissent pas cette sensation. Pas la moindre idée.
Je soupire, regardant les murs décorés d'affiches de tout genres.
-Le pire dans tout ça, c'est que je me sens mal car je le cache aux autres. Je cache ma propre douleur, car j'ai peur. J'agis toujours comme si tout allait bien. Mais si je décide d'en parler ? Je dis en riant presque.
-Alors ils ne comprendront pas, et s'ils font comme si ils comprennent, alors ça m'énerve. S'ils ne comprennent pas, ça m'énerve aussi. Mais la plupart du temps, ils préfèrent fermer les yeux et s'occuper de leur propre petite vie.
-Rose, je suis vraiment désolé, du fond du coeur. C'est vraiment horrible qu'une personne en or comme toi souffre autant. J'essaierais d'être plus présent, d'accord ? Contentes toi de répondre à mes appels, il ajoute après une courte pause.
Je hoche la tête, car je ne veux pas avoir à prononcer des mots qui sonneraient tous faux les uns autant que les autres.
Il me donne une accolade amicale et je le regarde s'éloigner après avoir bu une gorgée d'eau fraîche.
-Rose Kalivas ? C'est bien toi ?
Je me retourne. Une brune à frange se trouve en face de moi, avec son portable brandit devant elle en guise de dictaphone.
-Puis-te poser quelques questions ? Je suis Angela, du journal de la fac. Je fais aussi partie du club de lecture... Que ressens-tu à propos des événements auxquels tu as participé ? Peux-tu mettre des mots dessus ? Éprouvants, tristes, mélancoliques, affreux ?
Elle brandit son portable à quelques centimètres de mon visage et je contrôle mon envie de lui balancer au visage.
-Suce ma bite, je lâche avant de tourner les talons.
Je fais le chemin inverse, et rejoins la gare, fulminante. Le chemin du retour se passe dans le brouillard. Alex a complètement raison. Même si je tente ma chance, les autres élèves ne me lâcheront pas avant deux bons mois. Je n'ai aucune envie de voir le groupe de gothiques me suivre avec des bougies allumées parfumées à la rose. Peut-être devrais-je les rejoindre ? J'avais l'impression d'avoir perdu mon âme de toute manière.
Je prends le bus et arrive chez moi par derrière, puis escalade la fenêtre de la salle de bain que j'avais laissée entre ouverte. Par chance, mon père n'était pas rentré. Je n'avais même pas pensé aux conséquences de ma petite fugue.

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Roses
AçãoRose, une étudiante addict et hargneuse est dans le coma. Elle va devoir lutter contre elle-même pour que son âme cesse de vagabonder dans l'obscurité. Tout ce dont elle se rappelle : la souffrance et des coups de feu. #1 santé mentale le 9/08/2019...