Il marchait d'un pas lourd sur le sol sableux. Tout avançait à une vitesse surréelle, il ne parvenait pas à retrouver le cours habituel de sa vie. Il se faisait happer, emporter par un torrent arrivant brusquement sur lui. Il espérait une chose : savoir. Comprendre ce qui lui arrivait.
Son portable se mit à vibrer dans sa poche. Il le sortit et le consulta :
Nouveau message de Ulten, transféré par Zeke
Envoyé le : Loyauté 3 Janvier, 19h05 :
« Nous ne sommes toujours pas parti. Le départ était prévu pour 17h10. Cela fera bientôt deux heures que nous attendons. La ligne est entièrement bloquée par un problème non-identifié. Les autres passagers commencent à s'impatienter et posent des questions aux employés de la compagnie, sans obtenir de réponse... Je te tiens au courant. »
Il fronça les sourcils. Il sentait que les messages d'Ulten allaient être récurrents dans les jours à suivre. Au moins, je saurais ce qui se passe là-bas... Sans revenir sur ses hypothèses concernant le jeune homme, il se concentra sur le moment présent.
Uris avait hésité à se rendre chez Smeth, mais se doutant que le jeune Trosilien avait des choses importantes à lui dire, il avait finalement décidé d'y aller. Il souhaitait seulement y trouver des réponses, et non soulever davantage de questions.
Il sortit de sa poche le papier griffonné. L'adresse écrite n'était pas très loin de l'institut. Il fut d'ailleurs étonné de voir qu'il habitait dans un quartier accolé au sien.
Arrivé devant l'entrée, il frappa trois coups secs à la place d'appuyer sur la sonnerie. Quelques instants s'écoulèrent avant l'ouverture verticale de la porte coulissante. Smeth était derrière.
- Entre, dit-il en faisant un geste l'accompagnant à avancer.
Uris eut un sentiment indescriptible lorsqu'il vit son visage. Il était à la fois troublé, étonné, intéressé, curieux. L'intérieur était similaire au sien. S'il ne savait pas qu'il était habité par d'anciens Trosiliens, il n'aurait jamais pu le deviner.
Il suivit Smeth jusque dans sa chambre, située après un couloir adjacent au hall principal.
Lorsqu'il y entra, il eut l'impression d'entrer dans un autre monde, comme s'il pénétrait dans la personnalité de Smeth. Quatre posters étaient collés sur les murs, qui représentaient des stars de musique inconnues aux yeux d'Uris. Des vieux livres étaient étalés par terre. Il s'agissait de biographies ou de récits d'aventuriers. Les couleurs étaient sombres pour la plupart, mais quelques taches de jovialités se dissimulaient à certains endroits. Un tas de partitions abîmés se tassaient sur une table, derrière laquelle trônait la fameuse Rolke.
L'instrument avait une forme alambiquée. Des cordes parallèles s'échappaient du manche pour rejoindre une petite caisse de résonnance. Des décorations ainsi que des inscriptions l'ornaient, exagérant sa forme tronquée. Le tout était petit et s'harmonisait étrangement.
- Tu veux que je te montre ? demanda Smeth en voyant les yeux d'Uris posés sur la Rolke.
Ce dernier acquiesça d'un hochement de tête. Le jeune Trosilien alla s'asseoir sur le tabouret derrière l'instrument. Il fit quelques notes. Le son des cordes était très grave, presque imperceptible. Il se mit à jouer un air. L'instrument plongeait la salle dans une atmosphère dense, sombre, lourde. Un étrange calme s'installa, mais Smeth s'arrêta et la vie reprit.
En s'approchant, Uris remarqua de nombreuses rayures sur la Rolke. Le bois était fendu de part en part. Certaines griffures étaient dues à l'usure sans doute, mais d'autres, plus profondes, avaient l'air plus violentes.
- J'ai traversé avec elle de nombreuses péripéties. Le bois a subi des chocs durant ces années de tempêtes poussiéreuses, de violence humaine... Je les ai vécus avec lui. Je te l'ai déjà répété, mais c'est dur là-bas, et même lorsqu'on en sort, nos blessures restent ouvertes de mystères et de secrets non résolus.
Uris fixa ses yeux sombres. La lumière diffusée par l'atmosphère artificielle commençait à s'amenuiser, allongeant les ombres et assombrissant les murs.
Il n'osait rien dire, ne se sentant pas à l'aise dans cet autre monde, laissant Smeth lui expliquer ses pensées lointaines, obscures.
- J'ai besoin de quelqu'un pour les résoudre. Trois éléments qui ont payé ma survie et auxquels je suis redevable : la musique, Larren et notre monde. Je continue à pratiquer le premier, mais je ne sais pas comment faire pour les deux seconds.
Uris haussa les épaules avant de prendre un regard intéressé.
- Parle-moi de Larren.
Smeth tritura les cordes de l'instrument et baissa les yeux vers le tas de partitions.
- C'était tout d'abord un tuteur. Quelqu'un qui m'a presque tout enseigné, comme un père. Pendant la première année que j'avais passée avec lui, mon état avait nettement évolué. J'avais l'impression d'avoir un début de famille... Larren m'avait déjà fait quelques confessions sur lui, souvent à des moments inattendus. Il nous arrivait de trouver des caisses d'alcool abandonnées. Les adultes en profitaient et même s'ils me forçaient à en boire, j'évitais ce liquide d'oubli et de désespoir. C'était quand il était saoul qu'il s'ouvrait à moi. Il lui arrivait de parler des heures de choses sordides et incompréhensibles. Je me contentais de l'écouter débiter ces mots : lorsqu'il racontait, il me semblait plus apaisé.
Uris observait les partitions en cherchant à comprendre le sens de ces points noirs.
- Qu'est-ce qu'il te racontait ?
- Il me parlait de structures étranges, d'une ancienne vie reniée, d'un passé ineffaçable. Il parlait d'expériences, d'ennemis, de destin. Il disait plusieurs fois le mot « Silo » et une suite de mots incompréhensibles. Il était vraiment étrange dans ces moments-là. De plus, si je ne l'écoutais pas, il commençait même à devenir violent...
Il sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine lorsqu'il entendit « Silo ». Son rythme cardiaque s'accéléra. Il essaya de ne rien montrer à Smeth, afin que celui-ci dise tout ce qu'il avait à dire.
- Ce dont j'étais, sûr, c'était qu'il voulait faire une croix sur son passé. D'ailleurs, au bout de deux ans, ce sont ces périodes d'antan qui l'ont rattrapé. Il commençait à avoir des crises de paniques ingérables, puis d'un jour à l'autre je ne l'ai plus jamais revu. La dernière chose qu'il m'a dite, c'est son véritable nom, ajouta-t-il d'un air triste. Il m'a confié de ne pas le révéler à personne, surtout pas aux « gens des Silos », comme il les nommait.
Smeth était sur l'hésitation. Uris voulait savoir ce nom. Il devait le savoir.
- Comment s'appelait-il ? l'encouragea-t-il, les mâchoires crispées.
- Nis Lodan, chuchota le jeune Trosilien, comme s'il s'agissait d'un tabou, comme si l'homme dont il parlait était dans la salle en train de le voir révéler son secret.
Le cœur d'Uris fit un nouveau bond. Il sentit ses mains moites et quelques gouttes de transpirations couler le long de ses tempes. Les trois mots qu'il s'était forcé à retenir dans le premier enregistrement apparurent devant lui, clairs comme de l'eau de roche. Le Guide... Le Projet... Nis Lodan... La Secte.
Il fixa Smeth dans les yeux.
- Je pense pouvoir t'aider.
VOUS LISEZ
Insurrection
Science FictionLes Temps Sombres sont révolus. Personne ne sait ce qui s'y est réellement passé. Une épidémie ? Une guerre ? Seule une chose est sûre : l'humanité a été presque éradiquée, laissant seulement un million de survivants. L'an 0 a été annoncé à la fin...