Prologue

5.8K 274 29
                                    


Mon regard se plongea dans le sien. Elle amorça un faible sourire, juste pour me rassurer. Comme moi, ses bras étaient reliés à une machine par une dizaine de câbles. Les scientifiques qui s'affairaient autours de nous semblaient nerveux.

Le Directeur Nôhg observait la scène, un air impassible peint sur le visage. Seuls les tremblotements de sa jambe gauche trahissaient son impatience. Un homme finit par s'approcher de lui et un sourire satisfait éclaira son visage.

- Alors allez-y, ordonna-t-il froidement.

Presque aussitôt, quelque chose de glacé se posa sur ma tête : un étau de métal. Mon cœur s'emballa. Je pris une grande inspiration et me noyai à nouveau dans les yeux clairs d'Aelia. Je voyais la peur briller au fond de ses iris mais, au-delà de ça, il y avait surtout un calme et un sang-froid étonnant. Ses cheveux sombres tombaient en cascade sur ses épaules. Elle était plus que belle. A mes yeux, même dans un moment pareil, elle était tout simplement magnifique.

Malgré tout les liens qui me retenaient assis sur cette chaise, je tendis la main vers elle. En voyant mon geste, son bras se leva faiblement vers le mien. Du coin de l'œil, je vis le compte à rebours débuter à l'écran.

- Huit, sept, six... énuméra un scientifique.

Nos doigts s'effleurèrent une fois. Une dernière fois.

- Cinq, quatre...

Un mouvement de panique fit trembler son corps.

- Regarde-moi, murmurai-je.

Ses yeux se plantèrent dans les miens. J'en étais sûr maintenant : si elle devait mourir aujourd'hui, je ne continuerai pas à vivre sans elle.

- Trois, deux...

- Je t'aime, soufflai-je.

- Un.

Un éclat de douleur transperça ma poitrine et je hurlai. Mon corps tout entier se contracta. Cela ne dura que quelques instants. Mes yeux se fermèrent, laissant mon esprit s'abîmer dans les ténèbres et le silence de la mort.

*

[Un an plus tôt]

Ma décision était prise. Je fis quelques pas dans le noir pour traverser discrètement le salon. Avec une infinie précaution, j'entrouvris la porte de bois sombre et me faufilai dans la pièce. Je contemplai un instant la chambre baignée de la douce lumière de la lune et finis par m'approcher du lit qui trônait près de la fenêtre.

Ma gorge se serra lorsque mon regard se posa sur le visage endormit de mon frère . Je savais que, lorsque le soleil se lèverait, ses traits sereins se décomposeraient pour laisser place à l'horreur de ne trouver personne dans la chambre d'en face.

Je restai là quelques minutes, juste assez pour me donner le courage de refermer la porte derrière moi. J'étais à nouveau dans le salon, seul. Le silence de la nuit semblait hurler dans mes oreilles. Je poussai la lourde porte d'entrée et sortis de la maison. Immédiatement, un frisson parcourut mon dos. Le froid s'insinuait sous ma cape comme une serpent vicieux et pétrifiait mon corps.

Malgré tout, je me mis en marche. La route allait être longue mais, avec un peu de chance, je croiserai une patrouille. Le chemin de terre s'effritait sous mes pieds. Même si ma détermination me semblait sans faille, je ne pu résister et jetai un regard en arrière. Un nœud me tordit le ventre en voyant la maison s'éloigner.
Je ne pouvais pas faiblir. Pas maintenant. Je devais les protéger. Tous.
Mon père, ma mère, mon frère...
Ils n'étaient plus en sécurité temps que j'étais avec eux. Les soldats auraient finit par me découvrir et ils les auraient tué.

Non.
Ma décision était prise.
Il fallait que je parte, je n'avais plus le droit de renoncer.

Les heures défilèrent lentement. La nuit laissa peu à peu place à la lumière du soleil. Le jour se levait lorsque j'entrais à Nymphe. Les rues qui parcouraient la ville étaient un véritable labyrinthe mais je parvins finalement à trouver le quartier générale de l'armée. C'était une immense tour blanche, haute d'une dizaine d'étage. L'allée qui menait à l'entrée était pratiquement déserte et quatre soldats lourdement armés gardaient la porte. Une arche de fer était installé à quelque mètres du seuil, de sorte à ce que l'on soit obligé de passer dessous pour entrer.

En me voyant avancer vers eux, les gardes s'animèrent.

- Fiche le camp d'ici gamin ! rugit l'un deux en faisant quelques pas en avant.

Malgré sa voix menaçante, je continuai de fixer la porte et, d'un pas assuré, franchis le portique. Une fraction de seconde plus tard, une alarme stridente retentit. Mon cœur s'emballa. Mes jambes tremblaient. Les sons se dédoublèrent, les cris, les hurlements, les ordres.
Tout.
Je regardai autours de moi. Des dizaines de visages se déformaient en grondant. Je flottai au milieu de tous ça sans vraiment comprendre. Cela ne dura que quelques instants. Brusquement, les éclats de voix redevinrent clairs.

- Arrête-toi immédiatement ! m'ordonna un soldat, pointant son canon vers ma poitrine.

Je m'immobilisai presque aussitôt. Quelques chose tira mes bras en arrière, bloquant mes poignets. Je reçu au coup au visage. Je relevai faiblement la tête, les idées brouillées. Je laissai pourtant échapper un cri lorsqu'une vive douleur parcourut ma paume droite. Je n'eus pas le temps de voir ce que c'était que déjà, on m'entraînai à l'intérieur du bâtiment.

Mon regard fouillait le moindre recoin des couloirs dans lesquels on me tira. Finalement, les gardes me poussèrent dans une salle. Blanche. Eclatante.
Mes jambes fatiguées ne protestèrent pas lorsqu'on m'imposa de m'allonger sur la table en métal montée au centre. Une femme s'approcha de moi avec méfiance et injecta un liquide dans ma nuque. Quelque chose m'empêchait de me débattre.
Etait-ce la fatigue ?
Les drogues qu'ils venaient d'introduire dans mon sang ?
Non, c'était autre chose. Je m'étais livré. J'avais renoncé à lutter. A partir du moment où j'avais pris la décision de partir, j'avais capitulé.

Ma vision s'assombrit brusquement. Je ne me souvins pas du reste. Je ne me souvins pas de ce qu'ils s'était passé ensuite. Il me sembla avoir vu du sang. Beaucoup de sang. Mais ce n'était pas le mien.

C'était celui de d'un homme inanimé qui hanta mes rêves jusqu'à ma mort. Un homme au regard vitreux qui me fixait avec surprise lorsque mon pouvoir déferla contre lui.

Toute ma magie, d'un souffle, rassemblée pour comprimer l'artère qui irriguait son cerveau. Puis, un simple murmure pour chasser l'oxygène de ses poumons. Et enfin, une ultime pensée qui suffit à briser sa nuque dans un craquement sec.

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant