Cela faisait dix bonnes minutes que j'observai cet étrange interrogatoire, debout en silence près de l'entrée de la tente. Au début, Narmarcil et Atheleen étaient restés dehors et, après quelques minutes, en voyant que je ne courrai aucun danger, avaient décidé de me laisser seule. Celeborn posait ses questions d'une voix sèche et tranchante que je n'avais encore jamais entendue et l'inconnu, assis en face de lui, répondait de la même manière. De temps à autre, son regard dérivait sur moi, amusé de me voir aussi sérieuse et immobile, comme s'il se fichait de la gravité de sa situation. Ses yeux, imbibés d'une folie incompréhensible, semblaient fouiller au fond des miens pour se délecter de ma terreur. Parfois, il se redressait sur sa chaise et je pouvais entendre le frottement métallique des chaînes qui enserraient ses chevilles et reliaient ses deux pieds. Même si ses mains demeuraient libres, ces menottes l'empêchaient de s'enfuir. Quant au soldat, debout près de lui, il restait imperturbable.- Qui es-tu ? reprit Celeborn après avoir rapidement griffonné quelques mots sur le carnet posé devant lui.
-Je ne suis personne, répondit à nouveau le jeune homme.
Les questions se répétaient, encore et encore, infatigables, et les réponses ne se déformaient pas. Brusquement, le poing du soldat s'abattit sur son visage et il étouffa un cri de douleur.
- Quel est ton nom ? continua le militaire sans ciller.
- Je n'ai jamais eu de nom... murmurai-je d'une voix inaudible, juste pour moi, sachant parfaitement que c'était ce que l'autre allait répondre.
- Je n'ai jamais eu de nom, articula effectivement ce dernier pour la énième fois.
Il eu un mouvement de recul, anticipant déjà le coup qu'il allait recevoir pour cette réponse trop peu claire. Cela ne tarda pas et la gifle résonna longtemps dans la tente. Lorsqu'il releva la tête, un filet de sang coulait lentement de sa lèvre fendue et il planta à nouveau son regard dans celui de Celeborn, comme pour le mettre au défi de faire mieux que ça. Chaque question se répercutait dans mon esprit et, connaissant déjà la réponse, je restai à chaque fois dans l'attente douloureuse du coup que le l'inconnu allait recevoir. Je ne disais rien, incapable d'intervenir, soucieuse de conserver le privilège d'assister à cette horreur. Pourtant, chaque gifle qui résonnait me faisait mal autant qu'à lui même si, en réalité, il ne semblait rien ressentir, se contentant de répéter ses réponses comme un robot que l'on aurait programmé. Il ne semblait pas humain.
- On m'a appelé Serkaï, finit-il par avouer. Mais on ne m'a nommé comme ça qu'une seule fois.
Surpris, Celeborn s'empressa d'ajouter ce nouveau détail sur son carnet.
- D'où est-ce que tu viens ? reprit-il ensuite.
- Je suis né dans ce désert, affirma l'inconnu d'une voix lasse.
Ses yeux contemplèrent mon visage un instant, juste assez pour me glacer le sang et faire remonter un frisson le long de mon dos.
- Moi je pense que tu mens, soupira le capitaine en se renversant en arrière sur le dossier de sa chaise. Je pense que tu viens d'Argedhen, que tu as été formé là-bas et que tu as reçu l'ordre de ne rien dévoiler.
Le jeune homme ne lui répondit pas, absorbé par la contemplation de la table en bois sombre.
- Où est ta famille ? insista Celeborn malgré le silence.
- Ma famille est morte, gronda-t-il en relevant la tête vers le militaire qui continuait son interrogatoire, enchaînant les questions malgré les réponses vagues qu'il recevait.
Les coups résonnaient, encore et encore, si bien que, à chaque fois, la table se tachait d'un peu plus de sang.
- Es-tu un Vagant ?
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Eärwen : Les cendres du ciel
FantasyLa nouvelle loi est claire : Désormais, les Cendres sont considérés comme dangereux. Ceux qui ne livrent pas ces enfants doués de magie au gouvernement risquent la peine de mort. Comme beaucoup d'autres, mes parents ont refusé d'obéir mais l'armée a...