Chapitre 38

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Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis cette soirée. Des jours calmes, rythmés par le quotidien heureux des Vagants. Pour nous tous, ce temps de répit était précieux. Pourtant, malgré ce semblant de trêve, chaque nuit je me réveillais dans ma tente, le visage couvert de sueur et la respiration sifflante. Les cauchemars n'avaient pas cessé et je n'arrivai plus à fermer les yeux sans voir mes amis mourir.

A chaque fois que cela arrivait, je remerciai silencieusement Elijah de nous avoir offert des tentes individuelles car il m'aurait été douloureux d'expliquer à mes amis que je n'arrivai plus à dormir. Lorsque je me réveillai, je savais qu'il me serait impossible de me rendormir et je sortais marcher à la lisière du camp. La nuit me paraissait bien plus accueillante ainsi et j'étais capable de contempler la lune pendant des heures.

Durant la journée, le rapprochement d'Eressëa et d'Asben n'échappait plus à personne. Les deux Cendres ne se quittaient plus et je n'avais jamais vu mon amie aussi heureuse. Lui, il souriait souvent et essuyait sans broncher les paroles sèches d'Atheleen qui s'obstinait à le mépriser. Narmarcil ne l'aimait pas non plus, je pouvais le lire dans son regard. Il demeurait méfiant et une partie de moi était d'accord avec lui. Si un jour Asben devait choisir entre nos vies et sa loyauté envers Argawen, je n'étais pas certaine qu'il ne serait pas tenté de nous trahir. Mais ce dont j'étais sûre, c'est qu'il était heureux avec Eressëa et qu'elle était heureuse avec lui. Il était la seule personne capable de la comprendre réellement. Ils possédaient le même don et traînaient donc le même fardeau. Je croisais Caliawen de temps à autre mais elle semblait toujours préoccupée et passait désormais beaucoup de temps avec Astrid, en dépit de la haine qui émanait des autres Vagants.

Le plus dur dans tout ça, c'était Reewen. Sans que nous ne sachions pourquoi, ses crises refaisaient surface. Il devenait violent, se mettait à hurler. Je ne l'avais vu qu'une fois depuis notre arrivée ici. Il avait éclaté après une dizaine de minutes et les Vagants assignés à sa surveillance avaient dû intervenir pour le maîtriser. Mais j'étais décidée à réessayer et c'est pourquoi je marchais d'un pas ferme en direction de sa tente. Les deux Vagants postés près de l'entrée me dévisagèrent longuement en me voyant approcher mais ne s'animèrent que lorsque je m'arrêtai devant eux.

- La dernière fois... commença le plus grand.

- S'il vous plait, soupirai-je. C'est la seule façon que j'ai de l'aider...

- Je ne suis pas sûr que ça l'aide... marmonna le second.

Je ne relevai pas sa remarque même si elle me serra le cœur. Une partie de moi savait qu'il avait probablement raison. Peut-être était-il plus facile de me dire que je faisais cette visite pour l'aider plutôt que de reconnaître que c'est moi qui avait besoin de le voir. Malgré leur réticence, les Vagants s'écartèrent de l'entrée, m'ouvrant le passage. Après leur avoir adressé un regard reconnaissant, je me glissai dans l'ombre de la tente et fis quelques pas à l'intérieur.

Comme la première fois que j'étais venue, l'atmosphère était pesante et la pénombre recouvrait chaque recoin et les quelques meubles posés à même le sol. Lentement, je m'approchai du lit qui trônait à gauche du pilier central. Sous la couverture, une masse sombre respirait calmement et le silence était tel que j'avais l'impression de pouvoir entendre les battements réguliers de son cœur.

- Reewen... appelai-je doucement. Tu es réveillé ?

Le jeune homme remua un instant et finit par se retourner vers moi. Ses yeux papillonnaient, comme s'il venait d'émerger d'un profond sommeil. Il me contempla pendant plusieurs longues secondes avant que je n'entende sa voix éraillée s'élever dans la tente.

- J'étais en train de rêver... articula-t-il.

Son regard remonta le long de mon visage et il ajouta :

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant