Chapitre 37

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Mes yeux étaient fixés sur les reflets des gemmes colorées que je faisais distraitement tourner entre mes doigts. Elles étaient six. Six des quatorze pierres qui pouvaient sauver le monde. Et elles étaient là, au creux de ma paume, sans que je ne sache quoi en faire.

- Eärwen, me rappela Narmarcil, assis sur sa couchette. Tu m'écoutes toujours ?

Je clignai des yeux plusieurs fois avant de tourner la tête vers lui. Le jeune homme me regardait d'un air inquiet.

- Ça va ? me demanda-t-il. Tu as l'air ailleurs...

- Je... soupirai-je. C'est rien, ne t'en fais pas.

Il fronça légèrement les sourcils et finit par s'étirer avant de reprendre :

- Qu'est ce que cet homme t'a dit ? Tu lui as parlé de l'Evil ?

- Elijah ?

Il hocha la tête pour confirmer.

- Il a été très honnête. Il a clairement expliqué qu'il avait besoin de nous pour gagner la guerre contre les deux Terres. Il nous veut comme arme secrète. J'ai essayé de lui faire comprendre qu'avant tout, nous devions aller chercher le reste des gemmes mais il y est opposé.

- On devrait passer un marché avec lui... On se bat à ses côtés s'il accepte de nous aider à trouver ces foutues gemmes.

Je ne répondis pas, laissant le silence bercer les mots que je ne voulais pas dire.

- Tu n'es pas d'accord ? s'enquit le Cendre devant mon mutisme.

- C'est une bonne idée Narm', murmurai-je. Mais... est-ce qu'on a vraiment envie de retourner se battre après ce qu'il s'est passé ? Si on propose ça et qu'il accepte, on devra se battre contre les nôtres. Argedhen a peut-être fait une grosse erreur en nous traitant comme ça mais ça reste quand même notre terre d'origine. C'est chez moi là-bas.

- Tes parents sont morts Eärwen, et d'après ce que j'ai compris, ta petite sœur n'est plus l'ombre d'elle-même. Ils ont détruit ta famille, ils ont volé ta vie, comment peux-tu encore considérer cet endroit comme ta maison ?

Ses paroles étaient dures et me heurtèrent de plein fouet. L'espace d'un instant j'eus l'impression de sentir la chaise sur laquelle j'étais assise vaciller sous mon poids. Un souffle de colère parcouru mon corps tout entier et je serrai les poings. Se rendant compte de ce qu'il venait de dire, le visage de Narmarcil se ferma et il se laissa retomber sur le matelas.

- Excuse-moi, marmonna-t-il. C'est pas ce que je voulais dire.

- Mais tu l'as dis, répliquai-je sèchement en rassemblant toutes les pierres dans ma main.

- Eärwen, tenta de me rappeler le jeune homme alors que je me levai pour quitter la tente.

Je ne répondis pas, blessée de savoir qu'il avait raison, et sortis sans lui jeter un regard. Dehors, une brise d'été m'enveloppa et apaisa quelque peu ma colère. Alors que je marchai dans les allées du campement, les Vagants qui croisaient ma route ne pouvaient s'empêcher de me dévisager avant de continuer leur chemin. Les tentes s'alignaient devant moi de la même manière que lorsque nous étions dans le désert. Tout avait été installé comme s'il s'agissait d'un camp militaire. La seule chose qui manquait c'était les soldats armés au regard vide qui déambulaient entre les tentes. A la place, des hommes et des femmes vêtus d'habits étonnamment colorés marchaient en discutant, des enfants jouaient dans l'herbe et je pouvais entendre des rires s'élever dans le ciel.

Pas les rires malsains ou cruels de ceux qui sont là pour vous faire du mal. Non. Ces rires qu'on pourrait croire capables de guérir n'importe quelle blessure. Tout ceci semblait si irréel après les Laboratoires d'Argedhen et la tour d'acier d'Emoria. Une peur étrange me serrait les entrailles depuis que je m'étais réveillée ici : la peur que tout disparaisse d'un seul coup. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas vu autant de gens heureux. Des gens qui ne cherchaient pas à déverser leur haine sur nous.

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant