Malgré l'envie que j'avais de rester inconsciente, de rester dans ce monde où je ne ressentais plus rien, où je pouvais oublier la douleur, où je pouvais fuir mes colères, je compris que je revenais peu à peu à moi. Je m'efforçai tout de même de garder les paupières closes pour me concentrer sur les bruits qui m'entouraient. Sans même ouvrir les yeux, je savais que j'étais allongée sur un lit et qu'il y avait au moins deux personnes près de moi.J'entendis des voix. D'abord indistinctes puis plus nettes. La seconde d'après, je fis une autre constatation : j'avais mal. Une souffrance qui se diffusait dans tout mon corps et s'intensifiait au niveau de mon torse. Je tentai de prendre une grande inspiration mais un pic de douleur m'en empêcha. J'étouffai un gémissement plaintif et me décidai à ouvrir les yeux. La clarté du lieu me fit froncer les sourcils et je mis quelques secondes avant de réussir à distinguer les traits du visage penché sur moi.
- Eärwen, m'appela Narmarcil. Il ne faut pas que tu bouges.
Ma bouche était horriblement sèche et j'eus toutes les peines du monde à parler.
- Pour... Pourquoi ça fait... aussi mal ? articulai-je en serrant les dents.
- Tu as plusieurs côtes brisées et des hématomes un peu partout, expliqua Atheleen en s'approchant du lit.
La jeune fille avait revêtu, comme à son habitude, un masque d'indifférence. Aucune émotion ne planait sur son visage. Elle se contentait toujours d'énoncer les faits sans les amoindrir et ne prenait la parole que pour les choses importantes. Le reste du temps, elle se contentait d'écouter et d'observer les gens, comme perdue dans ses pensées.
- Tu as perdu beaucoup de sang et, même si ça ne va pas tarder, le jour ne s'est pas encore levé, ajouta-t-elle platement. Caliawen ne peut pas te guérir pour le moment.
Alors qu'elle prononçait ces mots, des images de l'attaque traversèrent mon esprit. Je revis ce jeune homme, rongé par la folie, essayant de me tuer. Et puis après, l'intervention de la Cendres et des militaires. Mes yeux cherchèrent machinalement ceux d'Atheleen qui me fixa un instant avant de comprendre ma question silencieuse.
- J'ai convaincu Celeborn de le laisser vivre pour pouvoir l'interroger, déclara-t-elle.
Mon regard changea, se teintant de reconnaissance.
- Quand tu seras rétablie, tu auras intérêt à m'expliquer ce qu'il t'est passé par la tête, continua-t-elle en faisant abstraction du visage troublé de Narmarcil.
J'hochai imperceptiblement la tête, même si, à ce moment-là, j'étais incapable de lui dire pourquoi j'avais voulu sauver cet homme. Comme si une partie de moi avait refusé qu'on lui fasse du mal au point de mourir pour lui. Au point de tuer pour lui. Brusquement, une image s'imposa dans ma tête. Je revis ce soldat, pointant son arme sur le torse de l'inconnu puis s'effondrer dans le sable, mort avant d'avoir tiré. C'était moi qui l'avais tué. Moi, qui l'avais mis à mort alors qu'il essayait de me protéger. Moi, qui avais décidé, sur un coup de tête, que la vie d'un ennemi était plus importante que la sienne. Cette constatation me fit rougir de honte. A cet instant, je pris conscience de quelque chose qui m'avais toujours terrifiée. Pour la première fois, j'avais perdu le contrôle de mon pouvoir.
- Le soleil se lève, déclara Narmarcil après avoir jeté un coup d'œil à l'extérieur. Caliawen ne devrait pas tarder.
Quelques minutes plus tard, la jeune Cendre passa l'entrée de la tente. Elle s'approcha du lit en me lançant un regard chaleureux.
- Je dois ressouder tes os, m'annonça-t-elle après avoir rapidement évalué mon état. Je ne suis pas sûre que ça va être très agréable.
- Fais ce que tu as à faire, grognai-je en me préparant au choc.
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Eärwen : Les cendres du ciel
FantasyLa nouvelle loi est claire : Désormais, les Cendres sont considérés comme dangereux. Ceux qui ne livrent pas ces enfants doués de magie au gouvernement risquent la peine de mort. Comme beaucoup d'autres, mes parents ont refusé d'obéir mais l'armée a...