Chapitre 51

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Cela faisait presque une heure que l'on slalomait entre les falaises et les énormes rochers qui bloquaient le sentier. Plusieurs fois, Narmarcil avait failli tomber, s'encoublant à droite à gauche. A chaque pause que nous faisions, je m'évertuai à m'entraîner avec Atheleen pour manier le couteau avec plus d'assurance. L'arme qui avait tué Reewen me brûlai la main et m'emplissait d'une rage indomptable. J'avais beaucoup progressé et je parvenais maintenant à la faire reculer. Lorsqu'enfin la petite route redevint plate et déboucha sur le plateau, un sentiment de soulagement m'envahit. Alors que je m'avançai à découvert, Roan m'arrêta d'un coup sec :

– Attention ! Regarde là-bas, s'expliqua-t-elle en pointant une forme noire du doigt.

Je dû plisser les yeux pour distinguer le vaisseau posé au milieu de la plaine. Des silhouettes floues s'affairaient autours et semblaient ensuite disparaître dans le sol.

– On devrait attendre la nuit avant d'y aller, déclara le Vagant.

– J'en peux plus d'attendre, grommela Atheleen dans mon dos.

Je fis demi-tour et allais m'asseoir sur une grande pierre plate, déposée par le temps au bord du chemin. Le vent sifflait dans mes oreilles et entaillait mon visage avec violence. Au bout de quelques minutes seulement, mon corps se mit à trembler. Je me recroquevillai sur moi-même mais cela n'y changeait rien. Le soleil se couchait lentement et le froid ne cessait de croître. J'avais replié mes genoux conte ma poitrine. Alors qu'il n'y avait plus que les claquements de mes dents qui résonnaient dans ma tête, deux bras m'étreignirent doucement. Le contact avec sa peau me fit tressaillir, elle dégageait une chaleur incroyable. Je tournai la tête et découvris le visage de Narmarcil à quelques centimètres du mien. Il ne semblait pas avoir froid.

– Si c'est trop, je m'en irai, me souffla-t-il. Il suffit juste que tu me le dises.

Je ne répondis pas. Cela me faisait tellement de bien d'être à nouveau près de quelqu'un. Le problème, c'est que ce n'était pas Narmarcil que je voyais, mais le visage de Reewen. Nous restâmes comme ça, serrés l'un contre l'autre à regarder le soleil disparaître derrière la ligne de l'horizon. Après presque une heure, je me défis doucement de l'étreinte du Cendre. D'un pas lourd, je m'éloignais des autres afin de retrouver un peu de solitude. Chaque mètre était comme une pique qui s'enfonçait un peu plus dans ma poitrine, chargée de toutes le choses qui saturaient mon cerveau. La mort, le devoir, le pouvoir, le combat, la vie... Ces dernières semaines, la même question tournait en boucle dans mon esprit : et si je refusais de continuer ? Mais la même réponse revenait aussitôt, à chaque fois : ils mourront, ils mourront tous. Je sentis mon pouls s'emballer, accélérer sans prévenir. Je basculai sur le côté avant de me rattraper à un arbre. L'écorce rugueuse m'écorcha les doigts jusqu'au sang. Je laissai mon regard se perdre quelques instants dans cette couleur enivrante qu'était l'écarlate. D'une main tremblante, je portai la main à ma poche et en sortis les feuilles de Néphil. Quelques gouttes de sang tombèrent sur la première. Je contemplai longuement la plante avant de grommeler à haute voix :

– De toute façon, je n'ai plus rien à perdre...

Sans hésiter plus longtemps, je la fis disparaître entre mes dents. Son goût, d'abord amer, me fit grimacer. Mais ensuite, sa saveur devint beaucoup plus agréable. Un mélange de sucre et de quelque chose d'encore plus doux. Après plusieurs minutes, une vague de soulagement m'envahit. Je sentais bien que mon esprit était embrumé mais la douleur et la tristesse avaient presque disparu. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie comme ça. Depuis le jour où j'ai rencontré Reewen. Le fait d'évoquer son nom, même dans mes pensées, aurait dû me poignarder le ventre. Mais il n'en fut rien. Il n'y avait qu'une indifférence profonde en moi. Son souvenir ne me faisait plus mal. Je levai les yeux vers le ciel et détaillai les étoiles :

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant