Chapitre 26

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— Non... murmurai-je en laissant le carnet tomber sur le matelas. C'est impossible, je...

Je sentis ma respiration se bloquer dans ma poitrine et ma gorge se serrer encore un peu plus. Narmarcil ne disait rien, les yeux perdus dans le sol, consterné. Combien de personnes avais-je encore oubliées ? Combien de visages s'étaient ainsi effacés de mes souvenirs sans que je m'en rende compte ? Reewen. Il m'aimait. Ce garçon m'aimait. Et j'étais prête à parier que je l'aimais en retour.

— Il faut que j'aille lui parler, déclarai-je en sortant du lit. Il faut que je voie Serkaï.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, s'opposa Narmarcil en me retenant par le bras.

— Je sais qu'il a des choses à me dire. Des choses qu'il ne souhaite pas révéler à Celeborn.

— C'est un meurtrier, il essayera de te tuer.

— C'est probable, admis-je.

Troublé par ma réponse, les yeux du jeune homme s'agrandirent.

— Tu es sérieuse ? Non, si tu y vas je viens avec toi.

— Narm', murmurai-je. S'il te plait. J'ai besoin de lui parler, seule.

— Il est dangereux.

— Arrête de t'inquiéter, il y a des soldats partout. Il ne m'arrivera rien.

Je savais que ce que je disais était faux. Aller voir Serkaï me mettait en danger. Malgré mes piètres arguments, il lâcha mon bras et laissa échapper un long soupir.

— Je reviens vite, lui assurai-je en m'efforçant de sourire.

Il me lança un dernier regard songeur et je repoussai les pans de tissus pour sortir. En parcourant les allées du camp, je constatai avec soulagement que la plupart des dégâts de l'attaque avaient été réparés et que l'ordre avait désormais pu reprendre ses droits. Arrivée près de la tente où était retenu Serkaï, je fus surprise de ne trouver qu'un seul soldat à l'entrée. En me voyant m'approcher, ce dernier s'anima et me fis signe de m'arrêter.

— Qu'est ce que tu veux  ? grogna-t-il.

— Je veux parler au prisonnier.

— Va-t'en, il ne doit voir personne.

— Sauf que je n'ai pas le choix, répliquai-je en parcourant les derniers mètres qui me séparaient du garde. Je dois aller lui parler.

Je vis ses traits se durcir et sa main se poser lentement sur la garde de l'arme pendue à sa ceinture.

— Va-t'en, répéta-t-il d'une voix glacée.

Refusant d'abandonner, je m'avançai encore pour tenter de le contourner. Il m'arrêta brusquement et me retenant par l'épaule. Mes yeux se plantèrent durement dans les siens en sentant ses doigts s'agripper à ma peau.

— Lâchez-moi immédiatement, ordonnai-je sèchement. Sinon vous allez le regretter.

A ces mots, le regard du militaire dériva jusqu'à mon poignet et ses yeux s'agrandirent en découvrant mon tatouage. Visiblement, il ne semblait pas avoir remarqué que j'étais une Cendre. Aussitôt, il me lâcha et fit un pas en arrière, troublé.

— Nous sommes ici en mission et mes ordres sont clairs, finit-il par déclarer. J'en parlerai au capitaine.

Je mis quelques secondes avant de comprendre ce qu'il était en train de dire. A Erforgon, les Cendres constituaient l'élite et il était pratiquement impossible de leur refuser quelque chose. C'est pourquoi, malgré les instructions qu'il avait reçues, il était obligé de me laisser passer. Au fond de moi, je savais que Celeborn ne me laisserait pas m'en tirer comme ça. Tout allait forcément me retomber dessus un jour ou l'autre mais, pour l'instant, j'avais obtenu la possibilité de parler avec Serkaï. Seul à seul.

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant