Chapitre 24

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J'ai rarement entendu mon cœur battre aussi vite qu'à ce moment-là, à croire qu'il cherchait à s'échapper de ma poitrine. Les pulsations martelaient ma cage thoracique avec violence et le sang me battait les tempes. Chaque pas que je faisais dans le sable me paraissait long et douloureux. Je marchai dans les traces de Celeborn qui traversait le campement d'un air déterminé, concentré, en direction de son invité imprévu.

Le Ministre Eivend était l'un des trois dirigeants d'Argedhen, aux côtés du Ministre Astar qui dirigeait les armées et de la Ministre Nimée qui était chargée des sciences et de la technologie. Eivend s'occupait des lois, il proposait les règles de la Première Terre qui était ensuite votées par les trois dirigeants et leurs adjoints.

Lors de son accession au poste, il était très jeune, à peine vingt-deux ans, et beaucoup de débats eurent lieu pour savoir s'il était vraiment capable d'assumer cette fonction. Pour finir, tous avaient dû se rendre compte que oui, il était fait pour ce travail. Il avait endossé ce rôle avec une habilité fascinante et avait su convaincre l'opinion publique de ses capacités. Très vite, il avait modifié la hiérarchie, décidant de n'employer plus que des ambassadeurs pour surveiller les villes. Les habitants, dérangés par ce nouveau système qu'ils avaient jugés trop intrusif dans leur vie privée, appelaient ces ambassadeurs des « Yeux ». Un surnom qu'on pouvait ajouter à celui des « trois robes », désignant sarcastiquement les trois Ministres dont la fonction oblige à porter, en publique, la longue toge brodée des insignes d'Argedhen qui leur est exclusivement réservée.

Je crois que j'aurais eu plus peur de devoir me retrouver en face du Ministre Astar qui, à ce qu'on disait, n'était qu'un homme sans cœur, au visage durement marqué par ses combats et au regard jaunâtre qui semblait lire au fond des esprits.

En arrivant aux portes du camp, je fus surprise de ne voir que deux soldats portant l'uniforme bleu d'Argedhen. Ils étaient entourés d'une marée de militaires en tenue rouge sang et gardaient malgré tout une attitude froide et stoïque. En nous voyant approcher, ils s'écartèrent d'un geste mécanique, laissant place à un jeune homme qui paraissait très délicat à leurs côtés. Son regard calme se promena sur Celeborn qui s'approchait à grand pas, puis, en me remarquant marcher derrière ce dernier, un bref sourire se dessina au coin de ses lèves et disparu presque aussitôt.

- Monsieur le Ministre, le salua froidement Celeborn.

- Capitaine, répondit ce dernier d'une voix posée, presque amusée. Cela faisait longtemps et je suis ravi de vous revoir.

- J'aimerai pouvoir dire la même chose, répliqua le militaire. Qu'est ce qui vous amène ici ?

Le ministre ne cilla pas et conserva son masque d'indifférence. Une bourrasque de vent brûlant fit onduler ses cheveux sombres autours de son visage fin et sa longue toge anthracite claqua contre sa jambe. Après une seconde de réflexion, il fit mine de s'offusquer devant cette brusque demande de justification.

- Le désert de Rive est une zone neutre non ? J'avais simplement envie d'y faire un tour. Est-ce un crime ?

Le capitaine le jaugea un instant et ses traits se durcirent encore un peu plus sous sa barbe dorée et ses yeux couleur acier.

- Arrêtez de me prendre pour un imbécile Eivend, soupira-t-il. Expliquez-moi ce que vous êtes venu faire ici.

Le fait qu'il l'ait appelé par son prénom me fit tiquer mais le ministre ne sembla pas se préoccuper de ce qu'il aurait dû prendre comme une offense à son rang.

- J'ai entendu des rumeurs sur l'arrivée d'une unité militaire d'Erforgon dans le désert, déclara-t-il. Je suis venu m'assurer que la gouverneure Windal respectait les clauses du traité.

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant