Chapitre 31

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Le jour apparaissait lentement sur la ligne de l'horizon et les tremblements continus de la cabine me berçaient calmement. Nous avions levé le camp quelques heures plus tôt et faisions désormais route vers Emoria. La dépouille d'Andera était sanglée sur un brancard, à l'écart des sièges et Jarod ne l'avait pas quittée des yeux depuis le départ. Celeborn lui avait confié une petite machine appelée « Régulateur » utilisée spécialement pour conserver les corps en bon état durant plusieurs jours. De là où je me trouvais, je pouvais voir les reflets scintillants du cocon doré qui enveloppait entièrement le cadavre de la jeune Cendre.

Personne ne parlait, laissant les grincements du métal combler le silence qui pesait sur la cabine. Les heures coulaient lentement, les minutes s'effaçaient et l'ennui nous rongeait tous. Même le capitaine Celeborn, assis au bout de la rangée semblait s'être assoupi. En relevant la tête, je vis une larme glisser sur la joue d'Eressëa, assise juste à côté de moi. En suivant son regard, je compris que ses yeux étaient figés dans ceux d'Asben qui occupait le siège d'en face. Lui aussi pleurait en silence.

Les deux Cendres se regardaient sans un mot, leurs iris semblant assurer un échange irréel. Au bout d'un moment, la jeune fille cligna plusieurs fois des yeux, comme si elle émergeait d'un rêve. D'un geste tremblant, elle essuya sa joue et contempla un instant mon visage troublé. Avec une infinie douceur, elle posa sa main sur la mienne et je tressaillis en sentant sa magie se diffuser dans mes veines.

Presque aussitôt, des centaines d'émotions contradictoires s'entremêlèrent dans ma poitrine. Je ressentais la confusion qui habitait les corps autours de moi, la colère et la peur pour certains, la joie pour d'autres. Mais le sentiment qui écrasait tout le reste c'était la tristesse. Je la sentais peser sur mon esprit et, après une poignée de secondes, je pus la relier au corps de Jarod. Toute cette douleur émanait de lui et était tellement forte qu'elle en éclipsait les autres sensations.

Les larmes d'Eressëa et d'Asben ne leur appartenaient pas. En réalité, c'était les larmes de Jarod qui coulaient de leurs yeux. Il souffrait en silence et seuls les deux Equivalents étaient capables de ressentir sa peine. Ils vivaient son deuil autant que lui. Alors que le chaos qui régnait dans mon esprit commençait à devenir insupportable, tout s'arrêta pour redevenir comme avant. Les pensées plaintives avaient disparu de ma tête et je retrouvais mes propres émotions. Je baissai les yeux, Eressëa avait lâché ma main. Je laissai mon crâne retomber contre le dossier de mon siège et observai un instant le ciel par la vitre du plafond.

- Nous venons de passer la frontière, déclara une voix dans le haut-parleur. Nous sommes de retour à Erforgon.

Quelques chuchotements soulagés s'élevèrent dans la cabine et l'ambiance se détendit un peu. Quelques minutes s'écoulèrent et plusieurs discussions timides avaient remplacé le silence. Un vague sourire éclaira mon visage et s'effaça aussitôt en apercevant trois points noirs survoler notre appareil. Je fronçai les sourcils et plissai les yeux. Brusquement, un des vaisseaux de notre escorte explosa à notre droite dans un nuage de feu. Un mouvement de panique traversa la cabine et les Cendres s'agitèrent dans leurs sièges.

- Qu'est se qu'il se passe ? hurla Celeborn en se détachant.

- Des vaisseaux ennemis capitaine ! répondit le pilote à travers le haut-parleur.

Une deuxième explosion retentit dans le ciel et un second appareil vola en éclat.

- Que tout le monde reste attaché, cria le militaire. J'ordonne un atterrissage d'urgence !

Il retourna s'asseoir et, au moment où il boucla sa ceinture, le vaisseau piqua brusquement vers le sol. La sensation était abominable. J'avais le cœur au bord des lèvres et les cris horrifiés des autres Cendres déchiraient mes tympans. Lorsqu'enfin, après ce qui me parut une éternité, l'appareil toucha lourdement le sol, le capitaine se libéra de son siège et agrippa la poignée pour ouvrir la porte de la cabine. Ma respiration haletante sifflait dans mes oreilles et mes yeux parcouraient frénétiquement les parois.

Eärwen : Les cendres du cielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant