L'approche

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Il est deux heures du matin et je n'ai fait aucun geste pour me manifester auprès d'elle.

Au cours de cette liturgie perdue, discrètement, j'avais pu constater un nombre important d'hommes qui tournaient autour d'elle. Ils avaient pris leur courage à deux mains pour s'en approcher. Sans scrupule, elle les avait repoussés si vite qu'ils n'avaient même pas eu le temps d'ouvrir la bouche. Je n'arrivais pas à déterminer si c'était de l'orgueil, un acte de mépris ou simplement parce qu'elle refusait tout contact avec qui que ce soit.

Dans tous les cas, j'ai fait le bon choix de rester sur mon tabouret. De temps en temps, je reviens à la réalité, face au bar, je tente de poursuivre ma discussion avec les deux femmes qui se sont jointes à nous, tandis que Simon conclut à sa manière. L'une des femmes m'invite à danser, mais je refuse sa proposition. Visiblement blessée, elle demande à sa copine de bien vouloir l'accompagner aux toilettes. Elles n'en reviennent évidemment plus.

Je ne cesse de me dire que j'ai du pain sur la planche pour ma future vie sentimentale. Lauren a laissé une empreinte tellement profonde que rivaliser avec elle tient de l'exploit.

En dehors de son physique et l'aspect inabordable qu'elle arbore, la blonde bohème - comme je l'ai surnommée - est peut-être une idiote arrogante ?

Tu sais bien que non. Tu as vu les signes. Elle n'est pas là par hasard.

— Simon, je vais fumer.

— Vas-y, j'arrive.

En me levant, je me cogne contre quelqu'un. Elle a des sandales à talons noires, des jambes avec quelques égratignures à peine perceptibles, des cuisses remarquables qui prolongent le galbe parfait de sa cambrure. Un arrière-train capable d'en faire baver plus d'un. Penchée pour passer commande, je constate qu'elle a une pointe parfaite du pied, ce qui met en évidence ses belles chevilles. Je ne vois toujours pas son visage et je patiente avec une envie inespérée.

— Pardonnez-moi mademoiselle, m'excusé-je, en me rasseyant.

Elle tourne sa tête vers moi, ses avant-bras toujours posés sur le comptoir. Puis me laisse découvrir deux fossettes aux creux de ses joues, quand elle esquisse un sourire.

— Il n'y a pas mort d'homme.

Elle a une voix grave et cassée. Son nez, ni trop fin, ni trop long, est parsemé de petites taches de rousseur qui s'étendent sous ses yeux clairs. Sa bouche souriante, charnue et peinte de rouge me désarme, tout comme le reste de sa personne d'ailleurs.

— Je crois vous avoir déjà croisé, non ? me dit-elle, alors qu'elle se pose dos au comptoir. Mais si ! Je vous ai vu au café Chez Plumeau, je me rappelle de vous. L'homme à la baguette à moitié dévorée sur la table, fait-elle remarquer en me montrant du doigt.

Je suis encore sur mon tabouret de bar, ma tête tournée à gauche pour lui faire face. Ce que j'entends aurait pu me faire sauter de joie, mais comme en chacune de ces circonstances, je me retiens de toute extériorisation et réponds d'un ton posé.

— J'ai du mal à résister à une baguette encore bien chaude.

Vas-y mollo sur les insinuations.

Elle me dévisage, sans rien laisser apparaître sur son visage. Il m'est très difficile de lire ses pensées à travers des expressions faciales inexistantes.

— Pour être honnête, je vous ai vu m'observer depuis le début de la soirée.

Je déglutis péniblement en détournant le regard. Elle m'a désarmé.

— C'est vrai, je regardais votre petit groupe d'amis et vous-même. Ça m'évoquait quelques bons souvenirs.

— Bien sûr... dit-elle d'un air soupçonneux.

On dirait qu'elle a démasqué mon mensonge, alors que ma voix a été des plus sereines.

Cette femme m'intéresse de plus en plus, et cela m'exalte de continuer de converser avec elle. Je sens une forme de jeu particulièrement stimulant.

Je tends mon bras pour prendre mon verre, sans faire attention que sa main en est proche. Et dans mon geste non prémédité, je la lui effleure. Durant ce court instant, une fraction de seconde, elle est manifestement parcourue d'un frisson comme impossible à maîtriser. Tout comme moi qui ressens un fort courant électrique, au contact de sa peau délicate, avant qu'elle ne l'enlève subitement pour croiser ses bras devant elle. Elle s'est fermée à moi, n'acceptant pas ce qui vient de se passer. Un silence pesant s'est immiscé entre nous. Elle, regardant la piste de danse en face, dos tourné au serveur, et moi fixant les bouteilles exposées face à moi.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant