Symbologie en art

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La rentrée des enseignants commence une quinzaine de jours avant la rentrée officielle des cours. Je me demande ce qu'on peut bien mijoter. Je m'imagine boire du café toute la journée, à parler avec de vieux profs aigris sentant le renfermé et la feuille séchée, des habits qu'eux seuls achètent dans une boutique qu'on ne doit sûrement connaître que par le « bouche à oreille », avec un passage secret comme pour aller sur Le Chemin de Traverse. Je les entends me raconter leur cours d'une voix lente et monotone, avec un humour grotesque à ne faire rire qu'eux-mêmes.

Certains instruisent depuis belle lurette. Comme je m'en doutais, ce sont ces mêmes enseignants qui me briefent sur les consignes et les instructions de l'Université.

La directrice est une petite dame coiffée en vague sur le côté, jupe aux genoux, talons très bas et une veste de tailleur boutonnée jusqu'au dernier : la vraie tête de l'emploi. Mais il ne faut pas se fier aux apparences, je suis bien accueilli et elle est ravie de recevoir un professionnel de renom dans son établissement.

Ces quinze jours consistent tout bonnement à récupérer mon emploi du temps - je donne des cours en Travaux Dirigés aux dernières années de Licence d'Histoire de l'Art, puis un cours magistral en amphithéâtre le vendredi matin - dix heures en tout. Ce qui me laisse des moments libres pour mon travail de galeriste, même à distance. On enchaîne les réunions avec les collègues et la direction sur le déroulement du premier semestre.

Mon cours est facultatif, la symbologie dans l'art. Ce n'est ni plus ni moins qu'une connaissance en plus pour ceux qui cherchent à décrypter des interprétations dans les œuvres étudiées. La symbologie est une science : elle étudie la définition des symboles, leur histoire, leur typologie en complémentarité avec la sociologie, l'anthropologie et la psychanalyse ; et dans celle-ci il y a plusieurs distinctions avec diverses disciplines : l'herméneutique, - c'est-à-dire l'interprétation -, la sémiologie, théorie des signes : langues, codes, signalisations, rites, politesse et surtout le langage. Le signe est défini par le symbole et l'allégorie, l'image, le logo, l'attribut et bien d'autres. Le symbole n'est autre qu'un sens détourné.

J'attends de mes élèves un bon esprit d'analyse, un savoir très large, une culture générale incontestable de l'Histoire de l'Art mais aussi des connaissances en théologie, en science, en événements historiques et en littérature. Une véritable envie de recherche et une mémoire infaillible. Je ne laisserai personne au bord de la route, je suis du genre tenace, et je ne tolérerai aucune forme de désinvolture. Ne seront acceptés que les passionnés dans ma classe.

Dans le corps enseignant, je me rapproche instinctivement de trois professeurs : Frank Mollet, le professeur d'archéologie antique, de taille moyenne, aux cheveux ébouriffés et aux sourcils épais. Il a mon âge, divorcé et papa d'un petit garçon de quatre ans, qu'il m'a montré en photo : le portrait de son père sauf qu'il a des sourcils plus discrets ; Christophe Bosquet, lui, est professeur de paléontologie. Il enseigne surtout les Masters et Doctorats. Plus âgé que nous, marié, trois enfants, un peu grassouillet, avec une tête sympathique, très avenant. C'est un homme qui aime vivre et chaque matin il distribue de la bonne énergie. Et enfin, Nathalie Cigliano. Originaire de la Provence, elle a toutes les caractéristiques de la femme méditerranéenne, teint hâlé, brune aux cheveux au carré à frange, des yeux noirs et le visage marqué de quarante ans de vie : une belle femme. Elle est aussi divorcée, en charge d'une adolescente. Enseignante dans un lycée au début de sa carrière, elle a fini par être professeure d'art médiéval à l'Université, il y a trois ans. C'est une femme sociable avec un brin de timidité quand elle s'adresse à moi. Il y a les séductrices, les réservées, les manipulatrices chez les femmes. Mais Nathalie fait partie de la catégorie femme-enfant. Un petit gabarit. On a peur de la casser.

Le vendredi avant la rentrée, installés tous les quatre dans la salle de réunion. Je regarde ma liste d'élèves attentivement. Une soixantaine d'étudiants répartis en quatre groupes de quinze pour les cours de TD. M'attardant sur la liste du groupe 2, à qui je donnerai mon premier cours lundi matin, je mémorise chaque prénom et chaque nom tandis que Nathalie vient s'installer près de moi et jette un œil sur ma feuille :

— Vous avez une bonne liste d'élèves, peut-être les plus intéressants.

— Ah bon ?

— Fais voir, s'écrie Frank en se rapprochant de nous. Camille Durand n'est pas ce qu'on appelle une fille intéressante, mais on va dire qu'elle peut s'éprendre de votre cours. Quant à Jérôme Frester, il est très curieux, il vous posera sûrement beaucoup de questions.

— C'est très bien, j'aime les personnes désireuses de s'instruire, dis-je.

— Bon, Vincent Lazare est assez snobinard, il a la science infuse, non pas qu'il soit nul, attention... continue Frank.

— Laurianne Kaisin aussi est un peu comme Frester, s'empresse d'ajouter Nathalie. Mais, vous qui aimez les esprits vifs, analytiques et passionnés, Charlène Mahé saura vous surprendre. Avide de savoir et très renseignée sur tout ce qui entoure l'art, c'est un bourreau de travail, sans pour autant avoir une once d'arrogance. Je pense que vous allez lui plaire et je sais que vous serez sous son charme.

— Enfin pas trop quand même, rajoute Frank avec un clin d'œil.

— Et pourquoi sur les cours, il n'y a pas écrit nos prénoms, et simplement notre nom de famille ?

— Ça évite aux étudiants de se renseigner sur nous. Avec l'arrivée d'internet, Google et des réseaux sociaux, on peut tout savoir sur n'importe qui. Et vu que vous êtes une sorte de célébrité dans votre domaine, ils auraient vite fait d'apprendre des choses sur vous.

— Et vous pensez que cacher le prénom soit suffisant ?

Rien que de penser que les étudiants pouvaient se renseigner sur moi et ma vie, ça me met mal à l'aise. Je serais arrivé avec un train de retard sur eux.

— Ça en démotive certains, ajoute Christophe.

Je jette un dernier coup d'œil à ma liste, intrigué, je retiens le nom de Charlène Mahé. J'ai hâte de la rencontrer et de savoir ce dont elle est capable.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant