Sans conviction (2/3)

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Je raccompagne Charlie jusqu'au 32, rue Ballu. Dès que le boulevard bruyant, accompagné de klaxons qui s'élèvent de partout, de travaux, de bouchons et d'un tas de gens pressés et mécontents, est dépassé, nous nous retrouvons dans cette rue adjacente dont l'éthique est tout autre. Silencieuse et peu de monde.

Elle s'arrête devant une porte rouge d'un immeuble :

— Voilà, je suis arrivée.

Près d'elle, ma gibecière en cuir marron de chez Arthur & Aston jetée sur les épaules, je fais semblant de m'intéresser à sa rue et son immeuble. En réalité, je cherche mes mots pour entamer ce délicat sujet et dans l'attente de trouver quoi dire, je remonte mes lunettes :

— Je ne sais pas par où commencer. Si j'avais su que vous étiez mon étudiante, je n'aurais peut-être pas... enfin... passé la nuit avec vous.

— Drôle de façon de dire que vous regrettez.

— Je ne regrette rien. C'est la situation qui m'embarrasse.

— J'en ai la nette impression oui.

— Vous comprenez la déontologie...

— Bon, écoutez, vous cherchez les mots pour simplement dire tout et n'importe quoi. J'ai été autant surprise que vous en arrivant ce matin à vos cours. Mais contrairement à vous, j'ai eu tout le loisir d'y réfléchir, réplique-t-elle froidement. Je n'ai pas à culpabiliser. Vous n'étiez pas mon professeur lorsque nous avons couché ensemble. Nous étions juste deux personnes attirées l'une par l'autre... le temps d'une soirée. On est donc d'accord pour dire qu'on n'en reparlera plus et que notre histoire s'arrête ici. Inutile, dans ce cas, de me faire de belles doléances.

Paf. Reçois-toi ça en pleine figure. Rien n'est plus clair à mes yeux, je l'ai vexée. Qui plus est, j'ai bien l'impression de m'être emporté sur le type de relation que nous avons partagé. De quoi me cacher dans un trou de souris.

— Vous avez raison. Mais, en aucun cas, je ne voulais vous vexer, reprends-je en me redressant.

— Non, vous avez voulu jouer au prof. Je ne vous en veux pas, lance-t-elle le visage renfrogné, cherchant quelque chose dans son sac.

— Charlie, excusez-moi. Je me suis mal exprimé. J'aurais dû vous dire que mon travail à Paris consistait à enseigner, dis-je d'un ton désolé, mais en aucun cas impressionné.

— Non. Je suis contente que vous ne l'ayez pas dit. Je n'aurais certainement pas passé cette excellente soirée en votre compagnie sinon. On a le droit de le dire ça ? me balance-t-elle en sortant ses clefs de son sac.

— Vous avez le droit. Je reconnais que vous m'avez dit être étudiante et je n'ai pas fait le lien... ou bien, je ne l'ai pas voulu.

— Bon, voilà, l'affaire est réglée. Une bonne partie de jambes en l'air et puis ça s'arrête là. On ne va pas épiloguer pendant une éternité.

Au-devant d'une telle sortie, je n'ai qu'une envie, l'envoyer balader. Au lieu de cela, je m'attarde, comme par automatisme, sur son expression qui laisse entrevoir à la fois son irritation et son insatisfaction. C'est une première ! Ses joues ont pris une teinte rosée, ses yeux sont plissés et elle mordille nerveusement sa lèvre inférieure, sans même oser me regarder.

Intrigué, je contemple chaque trait de son visage et m'attarde sur des marques qu'elle porte à son cou :

— Qu'avez-vous là ? lui demandé-je en lui montrant ces rougeurs qui ressemblent à des suçons.

— À votre avis ?

— C'est moi ?

— Et bien oui. Qui d'autre ? me dit-elle.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant