Delacroix, la découverte

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Sous le ciel gris de Paris, il y fait une chaleur étouffante. Je ne peux m'empêcher de me remémorer Baudelaire qui écrivait :

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits »

Entre les avertissements de Rembrandt sur la peinture et cette citation de Baudelaire, je commence sérieusement à voir des signes qui ne s'annoncent pas si bons. Pourquoi me viennent-ils en tête ?

Près de Simon, je marche en direction d'un restaurant, afin de nous rassasier d'un brunch capable de nous restituer l'excès d'énergie consumé au cours de cette nuit. Je profite pour discuter travail, alors que j'ai Simon sous la main. Lui qui, durant mon absence, s'occupe des nouveautés, des clients, des vendeurs et même des artistes, tout en gérant l'agencement des espaces pour mettre les œuvres en valeur. Professionnel dans l'âme, il s'occupe également de la prochaine expo, tout comme de la comptabilité. Un travail de fou dans lequel je ne peux que lui apporter un soutien téléphonique. Ce qui m'incite à en parler de vive voix et m'assurer qu'il n'est pas surchargé.

Il est onze heures quinze quand on arrive au Square Marcadet, après un quart d'heure de marche dans cette étuve bouillonnante qu'accumule le bitume parisien.

Installés en terrasse, nous passons commande. Deux cafés longs et serrés, deux jus frais, des mini-viennoiseries, du bacon pour Simon et des mini saucisses au four avec des œufs brouillés pour moi. Le tout, suivi de deux salades de fruits.

— Alors raconte-moi comment va l'équipe ?

— Paul et Betsy vont très bien. Paul a embauché deux nouveaux serveurs. Son restaurant marche du feu de dieu. Betsy, elle, elle passe quasiment tous les jours pour nettoyer et fleurir la tombe de Lauren. John a trouvé un atelier de tailleur de pierres à Salisbury dans le Wiltshire et Betsy est très inquiète de le savoir loin d'elle.

— À 25 ans, il fallait bien qu'il prenne enfin son envol. Il n'allait pas rester collé au jupon de sa mère indéfiniment ? Et Kathleen ?

— Elle entre au London College of Fashion.

— Elle a l'air bien partie pour être styliste. On l'a toujours su. Paul avait espéré qu'elle se dirigerait vers le domaine de l'enseignement, c'était peine perdue.

— Oui, et bien, sur une soixantaine de filles, elle a été retenue avec trois autres postulantes. Alors, crois-moi qu'il reconnaît maintenant que sa fille a du talent.

— Ils doivent être très fiers.

— Ils le sont. Quant à Daniel et William, ils restent toujours Dany et Willy hein. Ils ont décidé de séjourner un mois en Australie. Leur vol est prévu pour la semaine prochaine.

— Pour faire quoi ?

— Se détendre d'après eux. Sasha finit son thriller. Alors ne me demande pas. Je n'ai pas trop compris le thème qu'elle souhaite traiter. Un truc sur la psychologie enfantine ou je ne sais quoi.

— Et Hannah ?

— Elle va bien.

— Vous n'avez pas trop de travail tous les deux à la galerie ?

— Si, on passe beaucoup trop de temps ensemble. Ça finit par ternir notre relation professionnelle et amicale. Elle m'emmerde vraiment, ce n'est pas croyable.

Je suis à la limite de m'étouffer en buvant une gorgée au même instant, et je l'entends soudain me dire :

— Qu'est-ce qui te fait rire, toi ?

— Votre entente amicale. Ne te fous pas de moi ! Vous vous êtes toujours chamaillés depuis que Lauren l'a embauchée il y a trois ans de ça. Tu n'apprécies pas qu'elle te reprenne sur tes mœurs et te contredise quand tu as tort. C'est ton côté macho qui ressort, c'est tout.

— Qu'est-ce que tu me racontes-là ? Je ne suis pas du tout macho et je connais bien mon métier. Quand j'ai tort, je sais le reconnaître. Mais, avec son air hautain de Madame-je-sais-tout, je ne lui donnerai jamais ce plaisir-là.

Je préfère me taire. Simon et Hannah sont sûrement un faible l'un pour l'autre depuis leur première rencontre. Seulement leur caractère contraire les laisse se dresser de la sorte en chaque occasion. Lui se voile la face et refoule ses sentiments – sans jamais les mettre sur table - et elle, ne supporte plus son comportement grossier. Néanmoins, ensemble, ils font du très bon travail, ils savent joindre leurs talents pour bien vendre et faire tourner la galerie. Ils forment un parfait duo professionnel, et je ne manque pas de le lui rappeler. Il se contente de hausser les épaules.

— J'ai reçu un appel d'Hannah ce matin. Un richissime collectionneur établi en banlieue parisienne a fait une intrigante découverte. Un tableau qu'il a fait expertiser par Victor Dauger. Le commissaire-priseur du nom de Pascal Durand, très reconnu dans le milieu parisien – et que j'ai eu l'occasion de rencontrer quand je suis venu à Paris il y a deux ans – a été prévenu par l'Atelier Drouot. Un Delacroix authentifié, peint par le Maître lui-même. Et Durand a précisé que ce collectionneur anglais aimerait que ce soit une galerie d'art de Londres ou un acheteur anglais qui puisse le revendre. Il a donc laissé un message à la galerie et a insisté pour que ce soit toi qui rencontres ce collectionneur. Il souhaiterait que tu discutes des enchères et des probabilités de ventes fournies par notre galerie. Un acte qui pourrait, de toi à moi, booster le chiffre d'affaires. C'est une occasion en or !

— As-tu son adresse ? Ou un numéro où je puisse joindre ce Pascal Durand ?

— Hannah lui a donné tes coordonnées.

— Elle a bien fait.

Eugène Delacroix est un peintre français considéré comme le principal représentant du Romantisme. Maître peintre influencé par des artistes comme Rubens, Géricault ou Goya. Quiconque me connaît, sait que je suis expert de l'art de la Renaissance à l'impressionnisme.

Par contre, je ne suis jamais enchanté de discuter des ventes avec des commissaires-priseurs. Généralement, ils sont imbus d'eux-mêmes. Officiers ministériels habilités à programmer et diriger des ventes judiciaires. Un statut qui leur confère un pouvoir à travers lequel ils pensent avoir le monopole du marché de l'art. Des hommes cupides tournés envers et contre tout ceux qui font marcher le milieu.

Alors que je me perds en réflexion, Simon avale son bacon, puis il se racle la gorge pour me parler d'un autre sujet délicat.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant