Nathalie Cigliano

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Après le deuil de votre épouse ou de votre mari, se sentir mourir de chagrin ou ne plus avoir goût à la vie est d'une compréhension, qu'aucun de vos proches ne rejettent. Même avec le recul, vous vous dites : c'est légitime. Cependant, lors d'une rupture, penser que cela est insurmontable, surtout après une relation qui ne tenait qu'au sexe, vous vous dites que vous êtes sûrement en manque d'amour, d'affection et que vous vous êtes raccroché à la première femme qui vous a tapé dans l'œil. En ce début du mois de mars de l'année 2012, c'est ainsi que je raisonne sur mon obsession envers Charlie. J'allègue à me dire que si je m'y attache, c'est que je cherchais sans délai ce qu'elle m'avait si hardiment dissimulé cette soirée du quatorze février. Quelle était donc cette chose qu'elle avait peur d'avouer ? Puis, un beau jour, vous en avez tellement marre que vous en faites abstraction. Et la vie reprend son cours.

Le samedi qui suit, j'invite mes collègues enseignants à dîner : Christophe et son épouse, Catherine ; Frank et sa petite amie -rencontrée depuis peu -, Mathilde et enfin Nathalie.

Je n'ai pas été très galant avec elle cette dernière quinzaine. Je voulais me rattraper pour mon comportement de vrai salaud – étiquette qui ne me sied guère.

Chez Clémentine est le bistrot de 1906 encore authentique où je les amène manger. Ma grand-mère aimait y aller au moins deux fois par an. L'été quand je venais, elle m'y enrôlait - c'est d'ailleurs dans ce restaurant que j'ai pris mes premiers verres de vin. J'aime ce gastos pour sa cuisine française traditionnelle, leurs vins et alcools sélectifs du terroir français, nos papilles gustatives ne seront que comblées de plaisir. Le cadre est agréable, situé entre les Grands Boulevards et la Bourse du 2ème arrondissement, un quartier très chic, où, non loin se tient le Grand Véfour.

J'ai réservé à mon nom, car ce n'est pas bien grand et je veux à tout prix que nous ayons une table pour six personnes.

J'ai pu faire la connaissance de Catherine qui se marie bien avec la personnalité de Christophe : ils sont identiques. Dégageant, tous deux, des ondes positives et toujours le bon mot sur le bout des lèvres, même si c'est pour contredire. Un couple particulièrement beau à voir et à écouter. Mathilde me fait penser à Charlotte Gainsbourg. Petite voix à l'air mélancolique et pourtant, de quoi tenir tête à quiconque l'attaquerait. Frank ne cesse de la bouffer des yeux, se préoccupant de savoir si ça allait toutes les dix minutes. Chose qu'elle doit apprécier, car elle lui rend souvent réponse par une caresse sur la jambe. Seule Nathalie, à côté de moi, est silencieuse. Tantôt riant quand il le faut, et tantôt répondant quand elle le doit. Le vin fait son travail, car au fur et à mesure que les verres descendent, les joues de ces dames rosissent.

Nous finissons par nous rendre au Caveau de la Huchette, un club de Jazz, swing et be-bop dont sont adeptes Christophe et Catherine, situé au Quartier Latin. Lorsque le nom de la rue et le numéro 5 s'affiche devant moi, ma mémoire se met en marche instinctivement. Par exemple, je sais qu'en 1551, le lieu était un rendez-vous des Rose-Croix et des Templiers et qu'en 1772 il s'est transformé en loge maçonnique. Je connaissais sa renommée car cet endroit était aussi une inspiration pour un étudiant britannique qui créa The Cavern à Liverpool, indissociable aux premières scènes des Beatles. L'emplacement tient d'innombrables souterrains secrets conduisant au Châtelet et sous le cloître de Saint-Séverin.

Deux salles basses comme si nous étions dans des caves - et parfaitement bien agencées pour sonoriser cette musique de diable - accueillent notre soirée.

Ce soir, en observant Nathalie, je réalise que s'il n'y avait pas eu Charlie, c'est sûrement avec elle que j'aurais été depuis le début. Alors, mieux vaut tard que jamais, non ? Je l'ai embrassée dans cette rue et elle m'a invité à passer la soirée chez elle, puis le dimanche entier – sa fille étant chez son père -. Une fin de week-end à batifoler, cuisiner, discuter et se regarder des vieux films français que j'affectionne.

Le lendemain, tout comme les jours qui s'enchaînent, nous nous rejoignons pour déjeuner ensemble. Lorsque nous sommes en-dehors de l'Université, nous nous rapprochons comme deux adolescents aux amourettes d'été. J'ai une femme qui me plait, pleine d'attention à mon égard et je pense m'être entiché de sa douceur, de sa timidité et de son rire communicatif.

Les rumeurs vont aussi vite qu'une épidémie de gastro dans cette Université. Un charivari complotiste à notre passage : deux professeurs sortent ensemble.

Bien que nous fassions notre possible pour ne rien montrer, des sifflements retentissent lorsque nous sommes tous les deux. C'est à cette même période que je constate les absences répétées de Charlie.

À la mi-mars, un mois après notre rupture, j'ai quelques flashes de notre relation sans pour autant que ça me fasse mal. Je crois que mon nouveau train de vie me convient mieux, sans prises de tête, ni de non-dits, pas d'interdits et encore moins de jeux de séduction.

C'est à la venue du printemps, où les oiseaux gazouillent au petit matin, ou Mère Nature sort de son hibernation, que l'envie me prend d'aller boire un verre en terrasse au Perchoir. Un samedi soir dont la température est agréable en cette fin de mois. J'invite Nathalie, avant de rejoindre Frank et Mathilde chez lui, où nous sommes conviés.

— Deux verres de Martini s'il vous plaît, dont un, coupé avec des glaçons. Merci.

Nathalie vient entourer ma taille de ses bras et je lui pose un baiser sur les lèvres.

— Tu sais que tu es craquant ?

— Je sais, lui réponds-je avec un sourire narquois. Je lui remets une mèche derrière l'oreille.

Le serveur m'interpelle et je paye les deux verres. Le temps de tendre mon bras pour attraper nos boissons et Nathalie de se détacher de moi, que de l'eau m'asperge le visage.

Être myope a ses avantages tout compte fait !

— Sale type !

J'essuie mes lunettes, puis la bouche de mes mains et pose mes yeux sur la personne qui a commis cet acte.

Devant moi, une jeune femme – assez bien roulée – d'un blond doré, fronce les sourcils, un verre vide à la main : l'arme du délit.

— Mais qu'est-ce qui vous prend Madame, s'exclame Nathalie. Vous n'êtes pas bien !

— Toi, là, reprends mon interlocutrice en me pointant du doigt alors que plusieurs des visages sont tournés vers la scène. Tu oses coucher avec moi, prendre mon numéro et te barrer en pleine nuit sans prendre la peine de rappeler ?

Je réfléchis à toute vitesse. D'abord qui est-ce ? Je crois savoir que c'est ici que je l'ai rencontré. Gwendoline... euh, non... Gwenaëlle ? Oui c'est ça !

— Gwenaëlle...

— Oh ! Il se rappelle de mon prénom !

— Je suis désolé si je vous ai fait un faux espoir, mais j'ai toujours été très clair. C'était le temps d'une soirée et vous n'avez en aucun cas refusé l'arrangement.

Elle prend un second verre sur le bar mais cette fois-ci je suis plus rapide, je balaye d'un coup de main son récipient et celui-ci se brise au sol.

— Ça suffit maintenant ! crie Nathalie. Partez !

Une de ses amies la rejoint et la tire par les épaules.

— T'es un sale con, ajoute-t-elle avant de se tourner vers Nathalie. Je vous souhaite bonne chance, c'est un brise-cœur. C'est écrit sur sa tête.

Stupid bitch.

— Je pense que c'est ça qu'on appelle le retour du bâton ? dis-je à Nathalie sur le ton de l'humour, après que la furie soit partie.

— Tu ne recommenceras pas comme ça, taquine-t-elle en me tendant un paquet de mouchoirs afin de m'essuyer. Oh merde ! s'exclame-t-elle soudain mal à l'aise.

— Quoi ? m'inquiété-je en pensant reprendre une autre giclée d'eau.

— Je crois que c'est Charlie Mahé là-bas avec...Bastien Ferroni ?

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant