Le chlore de la piscine municipale Georges Drigny se glisse dans mes narines et me contraint à me gratter le nez toutes les trente secondes pour soulager le désagrément. Comme cela ne suffit pas, je dois en plus, toutes les deux minutes, remonter mes lunettes que j'ai décidé de garder pour faire barrière à cet élément chimique et toxique.
Cette piscine se situe dans mon quartier, à dix minutes à pied de chez moi, près du Boulevard Rochechouart. Quelques pas de plus et je me retrouve devant l'entrée du Carmen, alors que si je remonte de quelques mètres, je peux me siroter une bière Chez Marlusse et Lapin. Qui a dit que Paris était grande ?
Frank m'a appelé la veille pour savoir si ça m'intéressait de venir. Au mois de novembre ? Apparemment, son fils Marin y prend des cours de natation. L'idée m'a paru tentante. Un parfait répit qui me permet de marquer une pause dans le travail interminable des affaires de la galerie, les devoirs-maison à corriger et les cours à préparer pour la fac. Il n'en est pas moins que se retrouver en maillot de bain en plein automne, un mercredi des vacances scolaires, reste un concept que je n'ai jamais élaboré de ma vie.
Il y a du monde. Surtout que la piscine ne paie pas de mine. Un rectangle de flotte refoulant l'eau de javel, cinq lignes de nage pour séparer les couloirs de natation. Oui parce qu'en plus ce n'est pas une piscine pour se marrer. C'est plutôt dans l'optique barbante de rester sur un banc en bois dans un renfoncement à regarder les gens faire du dos crawlé, le papillon ou la nage indienne.
Frank, à côté de moi, regardait son fils essayant de nager comme une grenouille. Quant à moi, je passe un quart d'heure à bloquer sur la patience exemplaire du moniteur. Si j'avais été à sa place, j'aurais jeté l'éponge depuis un bon moment. L'endroit est bruyant, des jeunes au fond rient tout en sautant dans le bassin, se fichant pas mal des lignes de nage. Des gosses courent autour de la piscine se moquant des avertissements du maître-nageur qui, excepté héler dans son sifflet à m'en casser les tympans, n'est pas descendu une seule fois de son perchoir.
Je suis là, observateur, short de bain et t-shirt. Frank, toujours près de moi, torse-nu et slip de bain. J'ai un peu peur que ça porte à confusion. Machisme ou pudeur ? Peut-être un peu des deux, je ne le cache pas.
— Alors ce séjour à Londres ? me demande-t-il, se tournant vers moi.
— Un bien fou. Les amis, la galerie, les repères, les habitudes, j'ai l'impression d'avoir pris un bol d'oxygène, lui dis-je sincèrement.
— Le mal de Paris ?
— Pas du tout. J'ai eu l'occasion de visiter à nouveau Paris. Rencontrer de vieilles connaissances, puis nos soirées avec tes amis sont dingues ! Non, j'aime cette ville et je ne cesserais de le dire. Je crois que mon cœur balance entre les deux... et Florence.
— Florence ? lance-t-il en haussant les sourcils.
— Une ville qui m'a coupé le souffle dès l'instant où j'y ai mis les pieds.
— Tu as beaucoup voyagé ?
— Pas assez à mon goût, affirmé-je le regard sur mes mains.
— On n'a pas mal voyagé avec mon ex-femme et je t'avoue que ça manque un peu.
— Ça fait longtemps que tu es séparé de ta femme ? m'intéressé-je, les coudes sur mes genoux, tête tournée vers lui.
— Non c'est récent. J'ai un peu de mal à passer à autre chose. Elle me manque. Puis, Marin me manque beaucoup aussi.
— Je comprends.
— Et, sans indiscrétion, tu n'as jamais pensé à avoir d'enfants, toi ?
— Ma femme en voulait. Mais je n'arrêtais pas de reculer la date en lui donnant comme excuse que j'étais toujours sur un gros contrat, raconté-je, mon regard pensif sur la piscine.
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Œuvre d'art T.I - La muse
RomanceJames Taylor est un brillant expert en œuvres d'art. Reclus dans son deuil depuis un an, ce jeune veuf se voit offrir une opportunité professionnelle et décide de quitter sa ville de Londres afin d'enseigner la symbologie dans l'art à Paris. Un nouv...