— Excusez-moi de vous couper dans votre conversation très animée, s'incruste Simon avec moquerie, avant de me dire à l'oreille qu'il partait avec Sophie, l'une des trois femmes.
Il salue de la tête mon interlocutrice devenue taciturne. Celle-ci décroise ses bras, pour les laisser tomber le long de son corps. Ses sourcils s'étaient froncés et sa bouche restait entrouverte l'espace d'un instant, avant qu'elle ne joigne les mains et se concentre à nouveau sur la joyeuse scène qui se jouait derrière moi.
— Il est bien lent, lui, lance-t-elle en s'accoudant sur le comptoir à la recherche du serveur, alors que sa jambe s'était mise à se mouvoir d'elle-même, signe d'impatience.
— Vous connaissez-vous avec mon ami ? lui demandé-je.
— Pardon ?
— Est-ce que vous connaissez mon ami qui vient de partir ?
— Non, pourquoi ?
— L'expression sur votre visage. On aurait dit que vous étiez surprise.
— Sans blague, vous savez lire mes expressions ?
Pour toute réponse, je prends mon verre pour avaler une gorgée. Il est hors de question de rentrer dans son jeu.
— J'ai eu l'impression de le connaître mais celui que je connais est beaucoup plus petit, et, après analyse, il ne lui ressemble pas, en fait.
— Bien sûr, réponds-je avec un sourire railleur.
Elle me dévisage avec un rictus qui ne laisse rien ressentir qui vaille.
— Vous êtes anglais ?
— Mon accent est si mauvais ?
— À y accrocher mon pardessus, ironise-t-elle mais en voyant mon air incrédule, elle poursuit : Non, c'est votre côté très British qui m'a surtout sauté aux yeux.
— Mon côté British ? C'est-à-dire ? Développez, ça m'intéresse, demandé-je en prenant une autre gorgée de mon élixir.
— Vous êtes bien trop poli.
— Pourquoi ne le serais-je pas ?
— Parce que ce n'est pas comme ça que l'on aborde les gens en France. Un homme m'aurait déjà tutoyée et n'inverserait pas le verbe et le sujet dans une question.
— Alors, dois-je vous féliciter d'avoir dévoilé ma couverture secrète ?
— Vous pouvez juste m'applaudir ou faire une mini-ola, je n'en demanderai pas plus.
Enfin, elle se détend. Et j'avoue être impressionné par cette analyse facile mais rapide.
— Alors que je devine. De Londres ?
— Exact.
— Et comment ça se fait que vous parliez si bien français ?
— C'est une langue que je maîtrise.
— Si je vous emmerde dites-le, hein ? Ne croyez pas que vous m'intéressez. C'est juste histoire de tenir la conversation le temps que ce serveur à la con trouve enfin le temps de m'amener ma bouteille, lance-t-elle avec un visage malicieux.
— J'ai étudié cinq ans à Paris.
— Sous Platon ou sous Voltaire ?
Quel affront ! Elle n'a pas froid aux yeux celle-là.
Le serveur l'interpelle.
— Ce n'est pas trop tôt ! Vous la fabriquiez ou quoi ? s'exclame-t-elle sans méchanceté.
— Désolé, avec le monde qui s'est bousculé en même temps, on a été débordés. Pour me faire pardonner, laissez-moi vous l'apporter à table.
— Non pas la peine, merci bien, le remercie-t-elle avant de s'adresser à moi. Vous voulez vous joindre à nous ?
Je ne prends pas de temps de réfléchir :
— À condition que vous me laissiez vous aider
Je la soulage du seau de glaçon contenant la bouteille et j'essaye, tant bien que mal, de me frayer un passage à travers l'agitation des personnes qui dansent et se bousculent en gesticulant bras, coudes et fessiers. Quel con d'avoir accepté de l'aider par galanterie ! Avec tout ce remue-ménage, je me retrouve avec de l'eau partout sur les mains et les manches.
— Oh merci bel étalon ! s'exclame un ami à elle, une main caressant mon visage, en geste de remerciement.
— Calme la mule... c'est... s'interrompt-elle en m'interrogeant du regard.
— James, réponds-je en posant le seau sur la table.
— James, qui a bien voulu m'aider à apporter le seau jusqu'ici, explique-t-elle à son ami avec le sourire. Rares sont ceux qui auraient mis leurs mains dans le bac à glaçons pour moi, à vrai dire, ajoute-t-elle en sortant un paquet de mouchoirs de son sac, blotti dans un coin du divan.
— Salut, moi, c'est Iban. La prochaine fois, ne cherchez pas à l'impressionner, faites-lui porter le seau, dit-il en lui donnant un coup de coude sur les côtes, avant de m'observer avec intérêt. Dommage que vous soyez venu avec elle, sinon, je vous aurais bien demandé votre numéro, ajoute-t-il déçu, se laissant tomber sur le divan.
— Je suis flatté Iban, mais malheureusement, je ne connais pas par cœur mon numéro.
Ce dernier et ma bohème explosèrent de rires en s'échangeant un regard.
— Lui, je l'aime bien ! dit-il à son amie. Vas-y, assieds-toi et bois un coup avec nous, me lance-t-il d'un ton aimable.
— Puis-je prendre des bouteilles pour accompagner les vôtres ? proposé-je en appelant le serveur à côté de nous.
— Puis-je ! dit-il en me singeant. Détends-toi ce n'est que Charlie, ce n'est pas la Reine Elizabeth.
— Charlie, répétè-je, ravi de donner un nom à ma mystérieuse inconnue.
Elle me sourit comme si elle avait aimé que je prononce son prénom, prenant soin d'essuyer l'eau qui m'inondait les mains. J'aime ce contact, mélange de chaleur et de douceur. Je lève ensuite les yeux vers elle et lui dit :
— Enchanté, Charlie.
— Enchantée, James.
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Œuvre d'art T.I - La muse
RomanceJames Taylor est un brillant expert en œuvres d'art. Reclus dans son deuil depuis un an, ce jeune veuf se voit offrir une opportunité professionnelle et décide de quitter sa ville de Londres afin d'enseigner la symbologie dans l'art à Paris. Un nouv...