De grâce !

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Mon sang ne fait qu'un tour. Blême devant l'expert-restaurateur qui sourit, apparemment au courant de la situation :

— Charlène Mahé est l'une de vos étudiantes en symbologie, n'est-ce pas ?

— Euh...oui, c'est exact, elle est en cours de symbologie d'art moderne.

— J'ai eu la même réaction que vous, Monsieur Taylor. Mais rassurez-vous, il s'agit bien de Charlie Mahé, assure Pascal Durand.

Face à une telle situation, je m'interroge. Se peut-il que ma venue à Paris soit un acheminement déjà tout tracé pour croiser maintes et maintes fois mon étudiante, n'importe où que j'aille ? Et une petite voix dans ma tête, une flamme de joie mêlée à mon amour-propre, me dit qu'elle est ce que je préservais pour mon futur : une femme aux multiples talents capable de m'impressionner. Je dissimule tant bien que mal mon tumulte et me réjouis par avance de découvrir un autre talent ancré au corps de cette époustouflante jeune femme aux mille facettes.

— Comme vous pouvez l'imaginer, surtout avec votre œil connaisseur inégalé, un bon restaurateur doit être méticuleux et manier un pinceau à la perfection. Une discipline experte face à un tableau est un talent glorifiant. Néanmoins, il se doit aussi de connaître les couleurs. Les multiples supports sur lesquels il applique ses teintes. Repérer et appliquer les techniques de nettoyage posées sur chaque œuvre ou même s'en imprégner pour jouer avec les contrastes des lumières qui embelliront les nuances de couleurs apposées à la toile. C'est un travail absolument minutieux. Et Mademoiselle Mahé a ce don-là. Dès la première fois où je l'ai vue peindre, j'ai su.

— Je vous crois sur parole, dis-je soulagé, sachant maintenant que c'est Charlie aux commandes de la restauration. Mais, elle y travaille seule ?

— Non, le nettoyage c'est moi-même qui m'y suis employé. Ça m'a pris plusieurs semaines et durant ce temps-là, Mademoiselle Mahé a pris son rôle très à cœur. Elle s'est investie en s'entraînant des journées entières, à chercher les bonnes couleurs, les meilleures teintes, des gammes incalculables de nuances et par-dessus tout, elle a su trouver le bon coup de pinceau du Maître. Elle m'a amené une dizaine de livres parlant de Delacroix : bibliographiques, techniques, de son vivant jusqu'à aujourd'hui. Elle est très engagée dans son travail. Ne vous épate-t-elle pas vous, dans vos cours ?

— Elle est très impressionnante, je le reconnais.

Nous pénétrons tous les quatre dans l'atelier où Charlie est penchée sur un établi près du tableau, affairée à mélanger quelques coloris d'un admirable coup de poignet, lorsqu'elle se retourne, elle ne semble pas surprise de me voir. Gratifiant de ce sublime sourire adressé à son chef-restaurateur, elle finit par me saluer de son ton détaché :

— Professeur Taylor.

— Mademoiselle Mahé, lui réponds-je d'un hochement de tête.

Elle se remet à faire quelques remous dans ces bols avant d'ajouter :

— Je vous prie de m'excuser Messieurs, mais je vais vous demander de patienter un instant. Je dois finir un détail sur le bateau et si je vous laisse jeter un œil, la peinture risque de sécher. Je ne pourrais pas le rattraper. Puis-je vous appeler quand j'aurai fini ? D'ici environ une bonne dizaine de minutes ?

— Oui, bien sûr. Je tenais absolument à montrer la toile à Monsieur Taylor qui s'impatientait, dit Dauger en se tournant vers moi avec bienveillance.

— Je le conçois. Maître Durand avait même attendu plus longtemps que vous, si je me souviens bien, explique-t-elle de façon très détachée.

Le visage de Durand se durcit quelque peu avant d'étirer un rictus courtois à l'égard de Charlie.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant