Moïra Kriegerman

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J'appelle un taxi lorsque Mme Kriegerman sort de nulle part, telle une personne qui devait attendre quelqu'un depuis un moment :

— J'ai un chauffeur. Comme nous allons au même endroit, autant le partager, non ?

Je réfléchis un instant à sa proposition. À croire ce que j'ai entendu lors de notre brève entrevue à table, cette femme est mariée et comme je ne suis pas né de la dernière pluie, cette proposition ne s'apparente pas à une simple gentillesse de sa part. Elle s'attend à quelque chose selon moi. De nature curieuse, l'envie de savoir ce qu'elle a derrière la tête est plus forte que ma restriction à monter dans cette voiture. Un vieux souvenir.

— Pourquoi pas. C'est gentil de votre part.

Je lui ouvre la porte arrière pour qu'elle prenne place et fais le tour du véhicule pour monter à mon tour. Je regarde défiler les beaux quartiers de Paris, absorbé par son architecture et sa grandeur. Une splendeur telle, que je ne remarque même pas le regard de ma voisine fixé sur moi depuis notre départ.

Elle sourit.

— Vous savez que vous avez un regard d'enfant lorsque vous êtes fasciné ? Vous aviez le même quand vous êtes entré au Vefour.

— Vraiment ?

— Oui. Que faisiez-vous avec Maître Durand ?

— Des affaires.

— Excusez-moi. Je n'aurais pas dû être indiscrète.

— Je ne vous en veux pas.

Je lui souris pour la rassurer.

— Maître Durand est une vieille connaissance de mon mari. Nous allons souvent à ses enchères. Il propose des trésors tout à fait impressionnants. Pour tout vous dire, j'ai parfois l'impression qu'il fait apparaître ces vieilleries par magie. Étonnant, non ?

— Ça m'en a tout l'air, oui.

— Je m'appelle Moïra.

— Je sais qui vous êtes. Étant jeune, je vivais à Paris et vous étiez l'une des mannequins les plus en vogue ici.

Elle rougit.

— Et vous, comment vous appelez-vous ?

— James.

Elle sourit et me tends la main, que je serre. La voiture s'arrête devant notre immeuble et je l'aide à descendre.

Dans l'ascenseur, elle me propose de prendre un thé.

— Je ne sais pas si c'est une si bonne idée. Votre mari pourrait arriver d'un moment à l'autre.

— Mon mari est en voyage d'affaires, il ne va pas arriver de sitôt. Puis, il appelle toujours avant, pour me dire qu'il est sur la route du retour.

J'accepte.

Arrivé devant sa porte, je reconnais la Mezouzah, me signalant que je vais entrer dans un appartement où les occupants sont de confession juive. La Mezouzah. Objet culte qui renfermerait deux parchemins sur lesquels sont écrits des passages du Deutéronome correspondant au cinquième livre du Pentateuque, la Bible hébraïque. Elle l'embrasse. Je ne sais pas si je dois le faire ou non, mais je finis par m'abstenir.

L'espace est gigantesque - bien que chez moi ce soit déjà très grand - dans cet appartement, un môme pourrait faire du vélo à son aise. C'est somptueux, spacieux et très clair. Beaucoup trop clair pour mes yeux. En les plissant, je regarde les « vieilleries » dont elle me parlait dans la voiture : des bibelots, des tableaux, des sculptures, des meubles d'antiquaires... Bref, tout pleins de babioles qui encombrent l'appartement bien plus pour montrer qu'ici on aime les belles choses que pour décorer.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant