L'Atelier Drouot

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L'Atelier Drouot est spécialisé en conservation et restaurations de tableaux et œuvres d'art polychromes. Les restaurateurs interviennent pour des particuliers, des collectionneurs, des antiquaires et quelques institutions. Ils restaurent tous types de tableaux en support : toile, bois, cuivre, peintures murales et grands formats.

Située au Faubourg Montmartre dans le 9ème arrondissement - à quelques rues de chez moi - cette petite enseigne, encastrée dans les rues de Paris, a pour façade un choix de couleurs non adapté à l'assimilation du type de travail fourni dans la boutique. Une palissade avant en parfait contraste avec la rue. Encadrement qui s'affiche en rouge, symbole de passion, d'agressivité, de danger et même du feu de l'enfer. Une couleur primaire qui agresse l'acheteur, au lieu de le convier à ouvrir les portes qui lui donneront accès aux magnificences historiques et artistiques dont regorge son intérieur. Créativités par dizaines, traités avec le plus grand soin. La seule ingéniosité d'esprit a été d'exposer des tableaux derrière la vitrine, posés en évidence sur un étalage.

J'entre et découvre une petite salle envahie par des toiles. Des sculptures agencées en plein milieu de la pièce. Le sol d'un blanc carrelé s'harmonise et se confond avec les murs à la couleur de la connaissance et de l'éveil. Ils laissent ressortir les teintes criardes et sombres des œuvres disposées sur des chevalets d'atelier.

Bien que personne ne se trouve à l'entrée, la sonnette prévient ma présence, à peine la porte entrouverte et un homme vêtu d'une blouse bleue jusqu'aux genoux fait son apparition. Des cheveux grisonnants légèrement en pétard et des lunettes rondes mises sur le nez, je l'assimile à une sorte d'Einstein de l'art. Quand il me voit, il se précipite, main déjà tendue :

— Monsieur Taylor, enchanté. Victor Dauger. Je suis le chef restaurateur.

— Ravi Mr Dauger. C'est un réel plaisir de me retrouver dans votre atelier ! Votre réputation vous précède.

— Pas grâce à moi, lance-t-il sur le ton de l'humour. On vous attendait. Pascal Durand et Luke Chambers sont déjà dans mon bureau.

Il me montre, de sa main, le couloir à prendre, puis s'élance tandis que je lui emboîte le pas.

— Étiez-vous déjà venu auparavant ?

— Non, pas du tout. Enfin, sur l'autre côté du boulevard je connaissais une restauratrice italienne très réputée dans le milieu...

— Maria Federighi ?

— Euh, oui... Vous la connaissez ?

— Et comment ! Mais, je savais que vous la connaissiez aussi, à cause de l'expertise Botticelli à Londres.

Je me sens soudain pris de court. Qu'est-ce qui m'avait pris de parler de Maria ? Je n'aime pas revenir sur cette expertise, de peur que quiconque commence à poser des questions inconvenantes. J'inspire profondément avant de reprendre, ne laissant rien paraître :

— Oui, exactement...

— C'était bien son mari qui avait acheté le faux Botticelli n'est-ce pas ?

— Oui et à un prix très convenable.

— Je ne comprends pas qu'on puisse acheter de faux tableaux ! De telles toiles ne devraient pas exister dans le circuit, vocifère le restaurateur, enragé. Comment avez-vous pu laisser passer cela ?

— Je ne l'ai pas vendu. C'est le musée qui a accepté l'offre. Les lois sur le sujet divergent entre la France et la Grande-Bretagne, Monsieur Dauger. Même si un faux est rarement vendu, sans valeur, celui-ci a fait couler tellement d'encre, qu'il est devenu inestimable selon certains commissaires-priseurs. Exception à la règle, lui expliqué-je d'une voix calme.

Pour toute réponse, Dauger fait une moue qui laisse sans dire qu'il n'approuve pas ces manigances. Nous arrivons dans le bureau du chef d'atelier, lorsque mes deux collaborateurs pour cette vente se lèvent à tour de rôle pour venir me serrer la main. L'un avec beaucoup plus de poigne, comme à son habitude, le deuxième avec plus de légèreté.

La pièce est assez sombre. Les murs sont revêtus d'un marron foncé, décorés de tableaux - apparemment des copies. À première vue, je reconnais du Vermeer, du Degas ou encore du Picasso. Une bibliothèque, sûrement chinée dans une brocante ou chez un antiquaire, se trouve sur ma gauche. Un sofa - deux places- vert foncé en velours se trouve ainsi à ma droite et deux autres fauteuils du même style se tiennent de part et d'autre du bureau face à Dauger. Il prend assise sur son siège ratatiné par le temps qui n'a plus l'air si confortable, alors que je m'installe sur le fauteuil situé à sa droite, afin de faire face à Chambers et Durand.

— Alors, Delacroix était si bon peintre en sa jeunesse que lorsqu'il a peint La Liberté guidant le peuple ? m'intéressé-je avec un sourire, déboutonnant mon manteau.

— C'est un autre registre, commence Dauger. Les nombreuses expertises, dont la mienne et celle de Maitre Durand ici présent, confirment bien qu'il s'agit là d'une œuvre de jeunesse d'Eugène Delacroix. Nous la datons à 1819. Nous avons déjà pu finir le nettoyage et l'une de mes stagiaires ici, la restaure elle-même.

Je hausse les sourcils, à l'entente de l'information émise par le chef de service, puis cherche réconfort dans le regard du commissaire-priseur qui lui, affiche un sourire béat.

À la vue de mon expression incrédule face à cette annonce, Dauger reprend assurément :

— Ne vous en faites pas, cette stagiaire connait parfaitement l'art et par-dessus tout, les couleurs. Jamais je n'ai vu quelqu'un de si jeune se mettre aussi bien dans la peau du peintre, voire du Maître. Tout comme si elle communiquait avec le tableau. Son coup de pinceau et en tout point comparable à celui de Delacroix en personne. Par contre, elle n'aime pas être dérangée. Elle aime travailler dans le silence, sans personne autour. Nous allons donc juste voir où elle en est. Messieurs, nous invite-t-il tous les trois.

Songeant aux dégâts que peut faire une stagiaire sur une œuvre comme celle-ci, je m'attends au pire. Je la vois en train de saccager tout le travail du Maître en ne trouvant pas la bonne couleur adéquate et faire de grosses croûtes. Pour cause ? La tonne de couches qu'elle aura accumulée sur la toile pour trouver la teinte qui s'y rapproche le plus.

— Vous osez la laisser seule ?

— Bien sûr, j'ai entièrement confiance en Mademoiselle Mahé.

Œuvre d'art T.I - La muse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant