4.1

106 15 25
                                    

L'obscurité baignait le paysage urbain. Les ombres de la barrières impressionnaient et effrayaient : la frontière paraissait dangereuse alors qu'en théorie elle n'était construite que de tiges de fer. Dans mon coté de la barrière , le nombre d'immeuble présent se comptait sur les doigts d'une main et les rares bâtiments n'étaient pas habités. Aucune décoration ornait les fenêtres, les seuils ou même les boites au lettres. En somme, avec cette ambiance de quartier désert, l'environnement m'apparaissait lugubre.

Mes doigts m'élançaient et me rappelaient sans cesse mon erreur. Quelle idée stupide d'avoir refusé les antidouleurs. Mon visage me parlait et il m'indiquait que j'avais vraiment merdé. Ma joue me faisait mal, mon œil droit ne s'ouvrait pas complètement et mon nez voulait tomber.

J'aurais bien voulu cacher mes bleus et mon coquard pour ce rendez-vous mais les effleurer me faisait gémir. Tant pis, je ne pourrais pas être à mon avantage. Je ne regrettais pas d'être partie prématurément de l'hôpital : je les détestais en général et les médicaments agissaient bizarrement sur moi. Merci les effets secondaires. Résultat, j'essayais d'accepter ma douleur et de le faire dans la gaieté : avec un peu de chance et sur un malentendu , je pouvais ne plus sentir mon corps.

Je soufflai bruyamment en regardant le portail puis reportai mon attention sur la carte que j'avais en main. J'avais décidé de passer par le portail du Centre plutôt que celui de l'Est. L'adresse indiquait que le rendez-vous se situait à la pointe de la ville et donc loin de chez moi. La traversée allait être interminable et l'écourter était un luxe que j'avais décidé de m'offrir.

Un hurlement trancha le calme des environs. Je cherchais d'où venait ce cri lorsque je vis une silhouette au loin, de l'autre coté de la barrière. Elle semblait courir dans ma direction. Les arbres de la partie Sud m'empêchaient de voir pourquoi elle fuyait.

Un bruit sourd coupa ma réflexion et l'homme cria, s'écroula lamentable au sol en se tenant la jambe. Le son d'une arme s'identifiait facilement et il m'avait paralysée durant les dernières secondes. Lorsque je vis l'homme rampé pour fuir, je m'avançai lentement en sortant mon téléphone. Je composai le numéro de la police et attendis quelques instant un interlocuteur. Je décidai d'être polie et de murmurer pour ne pas être repérée. Je n'avais pas l'avantage d'avoir une forêt pour me cacher si on décidait de me tuer.

-Bonsoir, vous allez bien ? Un homme vient de se faire tirer dessus et il tente de s'échapper en rampant. La blessure est à la jambe donc il me semble qu'il aura besoin d'une équipe médicale.

-Je ne vous entends pas suffisamment madame. Pouvez vous répéter ?Où êtes vous ?

Je m'apprêtai à répliquer lorsqu'un ours sortit de la pénombre sur ces pattes arrières en rugissant. Sainte maman. J'avais un mauvais ,un très mauvais pré-sentiment : le sang attirait les animaux sauvages comme le chocolat m'attirait. Le temps s'arrêta . Je vis venir la suite même si mon cœur avait souhaité un miracle. L'ours se jeta sur l'homme. Il gronda en éventrant l'homme. Le blessé hurla un instant puis je n'entendis que l'ours se rassasier.L'énorme bête s'acharnait dessus. Je vis la tête voler et le corps rester entre les pattes de la bête. J'étais paralysée : donc j'allais devoir rentrer dedans ? C'était une blague ?

-Madame,Madame ? Êtes vous toujours là ?

-Euh...Oui... Oui... Pardon. Je crois... Je crois que la présence de la police ne sera pas nécessaire.

-Nous venons de localiser votre position. Nous sommes désolés mais la partie Sud et ses alentours ne font pas partis de notre juridiction. Veuillez ne plus nous contacter. Au revoir.

La tonalité résonna et je me retrouvai là, bêtement là, avec un ours rassasié qui partait vers les bois et ce qu'on pouvait appeler reste du corps. Comment ça « pas de notre juridiction » ?Les personnes du bar n'étaient pas des policiers peut-être ?! Je recomposais le numéro et j'eus un message vocal tout à fait invraisemblable :

-La police de l'archipel et plus particulièrement de l'île de Tibora n'est plus en service. Veuillez nous excuser de la gène occasionnée.

Je regardais mon téléphone pendant trois minutes. Est-ce que je venais de me faire bloquer par les services de secours ? C'était possible de faire ça ? Était-ce légal ? Vociférer contre eux me semblait être une bonne idée à cet instant. J'avais une personne morte sous les bras et ni la police, ni l'ambulance, ni les pompiers ne répondaient à mes appels . Avec des services de secours aussi négligeant, il n'était pas étonnant que les enquêtes criminelles n'avançaient pas : ils niaient l'existence d'une partie entière.

La boule au ventre, je me retournais dans le but de partir. Je ne me sentais pas prête à rentrer dans cette zone. Je refusais catégoriquement avec ce que je venais de voir. Je n'étais pas équipée contre des animaux sauvages. Avant même de pouvoir poser un pied dans ma direction initiale, j'eus une migraine. Je reculai sous la violence . Ma tête fut soulagée et je pus respirer.

Mon subconscient signalait que la fuite n'était pas une option. Je dus me rappeler une bonne centaine de fois que j'avais des responsabilités , que les ours n'attaquaient les hommes que rarement et que j'avais aucune raison d'avoir peur de me faire tirer dessus. J'inspirai. Je devais accomplir ce pourquoi j'étais venue : comprendre pourquoi on recherchait Mme Belevitch. Lorsque je traversais les bois, j'ignorai les restes de corps pour le bien de ma santé mentale.

La senteur boisé ne couvrait pas celle du sang frais. J'eus du mal à retenir mon estomac de se vider chaque fois que je trébuchais sur des restes. Cette nuit, la lune était peu présente et les arbres cachaient le peu de luminosité que je pouvais avoir. Malgré le chemin créé, je ne savais pas où poser les pieds.

En m'éloignant de la barrière, j'entendis la nature se manifester. Avec ces nombreux bruissements, je n'osais pas regarder observer ce qui m'entourait : j'aimais la nature mais seulement la journée et quand je n'avais pas vu un ours enragé avant. Étrange ,n'est ce pas ? Une cacophonie faite d'huhulements, d'hurlements lupins, de piaillements comblait l'absence de lumière. Elle m'accompagna tout le long du trajet.

La traversée des bois fut longue et périlleuse - combien de fois avais-je rencontré le sol ? - avant d'arriver à la sortie. J'avais des écorchures partout et le sourire béa d'une enfant. Malgré la difficulté, le froid et mon humeur grincheuse - après tout, il était vingt-trois heures passées et j'étais dehors au lieu d'être dans mon lit, au chaud -, j'avais pu voir une famille de cerf , de loups endormis, et des millions d'écureuils. Oui, j'avais eu peur mais j'étais prête à revenir dans les bois. Le jour , bien sûr.

Ush ROWTAG T1 : Monstres inattendusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant